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Le bourg et la ville

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1er juillet 2013

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Les silhouettes des villages ponctuent le paysage du piémont viticole. Dambach-la-Ville
Les villes et villages alsaciens sont partis prenante des paysages de l’Alsace. C’est ici un voyage au travers de la grande histoire de l’occupation humaine en Alsace qui permet d’identifier les phénomènes à l’origine d’un basculement dans la vision de territoire, créateurs d’un nouvel ordre urbain. Ce long chemin traverse trois grandes étapes de sédimentation urbaine.
Des premiers noyaux urbains sous l’Empire romain au milieu du XIXe siècle, cette première et longue période témoigne d’un agrégat de formes urbaines modifiées au rythme des conflits et des évolutions sociales. Se dessine la trame urbaine et patrimoniale « ordinaire » en lien avec les ressources du territoire.
La révolution industrielle marque un changement brutal et profond, par l’apparition de moyen de transport à l’échelle territoriale, favorisant la modernisation et la mécanisation de territoires jusque là en marge du développement urbain mais dont les ressources locales restent à exploiter. Du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe siècle, malgré 3 guerres successives et 3 changements de nationalité, l’Alsace est un grand chantier dans laquelle nouvelle nécessité économique rime avec croissance urbaine « hors les murs ».
Depuis le milieu du XXe siècle, villes et villages alsaciens sont touchés par plusieurs vagues d’urbanisation, créatrices de formes urbaines pour la plupart dépendantes d’un modèle social articulé autour de l’usage de l’automobile. La ville déborde largement sur les territoires péri-urbains, et partout, la spécificité du territoire disparait au profil d’un ordre urbain organisé par la spécialisation de l’espace, par le zonage. Les métropoles de Strasbourg et de Bâle-Mulhouse cristallisent le développement sur l’axe rhénan au détriment d’un désengagement industriel des pôles historiques.
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Les grandes périodes de la formation des villes en alsace

  L’Alsace Romaine, une première armature urbaine

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L’ancien cardo romain, aujourd’hui rue du Dôme, a gardé son tracé originel. Strasbourg

Les premières traces écrites de l’installation humaine en Alsace remontent à la période gallo-romaine, c’est à dire de l’an 0 ou plus exactement lors de la défaite des Germains repoussés outre-Rhin. Pendant presque 5 siècles, l’espace alsacien va évoluer au rythme des tensions entre tribus. Cette grande période va pourtant être fondatrice de l’identité alsacienne, car les Romains travailleront sans relâche à « apprivoiser » le territoire entre le Rhin et les Vosges en cherchant à tirer profit des spécificités et des ressources du territoire. Par l’implantation des camps fortifiés, des villes commerciales, des villages de production, par la structuration du territoire par les voies consulaires, l’urbanisme romain est en marche, une vision durable du territoire quelques 2000 ans déjà avant nos préoccupations actuelles.

Un premier réseau de villes

Argentorum, Saletio, Argentovaria, Broomagus, Tres Tarbernae, Urunci, ne sont pas des noms évocateurs d’un premier coup d’œil. Par contre Strasbourg, Seltz, Horbourg, Brumath, Saverne, Illzach sont aujourd’hui des villes connues et appréciées de tous. Les romains sont en fait les premiers à avoir laissé des traces écrites de leur passage, de leurs conquêtes. Si peu de traces tangibles nous sont parvenues (à part quelques sites gallo-romains étonnants, comme celui de Wasserwald ou du Donon), il nous reste un héritage essentiel pour la compréhension des paysages alsaciens, c’est le phénomène urbain qui s’installe avec Rome.
Par sa position stratégique et militaire, cette portion du territoire entre le massif des Vosges et le Rhin s’offre à une importante romanisation qui se traduit par l’installation d’un réseau de noyaux urbains, fixes, identifiés, et hiérarchisés. La première armature urbaine d’Alsace voit le jour et fait d’ailleurs l’objet vers 350 d’une première représentation qui nous est parvenue par la Table de Peutinger (copie du XIIIe siècle d’une ancienne carte romaine ou figurait les routes et les villes principales de l’Empire romain).

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Entre Elsenheim et Marckolsheim, le parcellaire agricole garde mémoire du tracé de la voie romaine. S’il n’est pas toujours évident de retrouver le passage d’un axe romain de communication dans le paysage alsacien d’aujourd’hui, il nous reste des traces en villes et campagnes que le temps a transformé soit en chemin agricole, soit en route. carte IGN 1/25000e

Un premier aménagement du territoire

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L’installation d’un premier réseau de noyaux urbains, fixes, identifiés, et hiérarchisés dans la région. CRDP Alsace

Au moment de la conquête gallo-romaine (58 av. JC), l’Alsace occupée par les tribus celtes est hérissée de nombreux oppida dans les massifs qui forment de formidables ensembles de découverte de la montagne. L’oppidum consiste en un site fortifié de grande taille, situé en hauteur ayant une fonction de protection et de défense. Outre les oppida (un bel exemple au col de Saverne est le site fortifié du Fossé des Pandours), on trouve dans les vallées ou sur la plaine, des villages (vici) et des maisons isolées (aedificia).
Les romains fixent alors deux tribus dans le Nord (les Triboques) et le Sud (les Rauraques) de l’Alsace chacune ayant une capitale (Brocamagnus ou Brumath et Augusta Raurica ou Kaiseraugst en Suisse aujourd’hui). Ils organisent alors le territoire suivant :
- une logique défensive. Des camps militaires sont établis le long du Rhin, le plus important étant Argentoratum (voir le paragraphe sur la naissance de Strasbourg).
- une logique agricole. Dans les campagnes, les romains construisent un réseau de routes et installent, surtout dans la plaine du Rhin, de nombreuses villae. Une villa est une grande ferme exploitée par une famille qui travaille la terre d’une exceptionnelle fertilité (voir le paragraphe sur les villages du vignoble) et qui développe un savoir-faire en lien avec les spécificités géographiques et hydrographiques du site.
- une logique urbaine. Les villes se développent le long des voies commerciales (commerces du sel, des métaux,…) qui traversent tout l’empire. De plan géométrique avec un forum, une basilique, un théâtre, des temples,… les villes romaines abritent également nombre d’artisans et de commerçants qui s’installent hors la ville (en dehors des murs d’enceinte de la cité) pour exercer leurs activités. Les villes sont d’ailleurs souvent doublées d’une fonction militaire, de surveillance ou de garnison.

  Au Moyen-Age, l’aménagement du territoire alsacien

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L’abbaye Saint-Étienne de Marmoutier, abbaye bénédictine fondée au VI ème siècle

La chute de l’Empire Romain précipite les territoires alsaciens dans une logique territoriale qui dépend d’une multitude de pouvoirs locaux ecclésiastiques (évêques et monastères). Les Mérovingiens remplacent bientôt les Alamans dans la région, et le Moyen-Age voit le royaume franc se doter d’un duché « d’Alsace » (c’est d’ailleurs l’une des premières fois que l’on prononce ce nom pour parler de la région) avec le concours de l’Eglise.

Abbayes et monastères nouveaux lieux de puissance

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Les principaux édifices religieux qui ponctuent le territoire, lieux de pouvoirs locaux. Ce patrimoine, aujourd’hui en partie disparu nous a légué des lieux de vies et d’établissement de population, dans un environnement naturel maitrisé (défrichement, acheminement de l’eau,…). CRDP Alsace

Sans revenir sur la grande histoire de France, dès le IVe siècle, la religion chrétienne se répand dans toute la région alsacienne et le territoire va s’en trouver profondément marqué pendant quelques sept siècles. On assiste à un véritable quadrillage du territoire par des monastères (surtout dans le massif vosgien), des abbayes (727-fondation de l’abbaye de Murbach), des églises (souvent à deux tours) qui composent les silhouettes de bon nombres des villages alsaciens, des cathédrales (l’édification de la cathédrale de Strasbourg débutera en 1190) et même des villes entières (les cités romanes) qui dépendent pour la plupart du pouvoir économique et militaire d’un évêque.
Plus le pouvoir religieux est important dans la région, plus le domaine qui dépend du monastère, ou de l’évêché est de taille considérable et développe des techniques dignes des plus grands productivistes de l’époque industrielle. Le rayonnement spirituel et politique du lieu dépend en grande partie du pouvoir économique des religieux.

Les ordres religieux à l’origine de l’essor des villages et l’aménagement des campagnes

Plusieurs ordres religieux participent à cette valorisation des territoires alsaciens. Jusqu’au Xe siècle, ce sont principalement des ordres bénédictins qui sont présents en Alsace. Outre un pouvoir politique et économique très important, les moines bénédictins s’imposent une règle (de Saint Benoit) qui laisse une large place au travail manuel.

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Vue de l’abbaye de Pairis en 1790 (commune de Orbey). Fondée en 1138 et peuplée de moines venus de Lucelle, l’abbaye s’impose comme un des plus importants propriétaires fonciers de la région. Par les techniques de défrichement, de nombreux terrains sont valorisés pour l’agriculture et la culture de la vigne s’impose alors comme la principale source de revenu de la communauté. Source CRDP Alsace

Dans les faits, la campagne alsacienne va dès lors connaître un profond changement de visage, lié à l’extension des surfaces agricoles, et à l’intensification des échanges commerciaux de part et d’autres des Vosges notamment : les routes sont élargies, nombres de vallées vosgiennes sont défrichées pour permettre la culture sur les coteaux et l’exploitation de la forêt, la forêt vosgienne est « maîtrisée » et devient une ressource à part entière du territoire (bois de chauffage, construction). L’implantation des abbayes ou monastères s’accompagne la plupart du temps par la création ou le renforcement des villages. Extension du village, structuration autour de la place du marché et de l’église, quelque fois édifications de remparts défensifs : les villages sont les lieux d’échanges pour le commerce de l’abbaye et lui offrent la sécurité d’approvisionnement. Ils deviennent des lieux convoités par les pouvoirs locaux, comtes, évêques, ou moines missionnaires. De nouveaux lieux de puissance se créent partout sur le territoire alsaciens que ce soit au cœur du massif vosgien, dans les piémonts ou en plaine alsacienne. Là aussi, le travail est le même. Il s’agit d’assainir les marécages, d’endiguer les cours d’eau afin de rendre l’espace aménageable, et cultivable.
A partir de l’an 1000, les Cisterciens s’installent également en Alsace. Pour exemple, l’abbaye cistercienne de Lucelle (fondée en 1123) dans le Sundgau, comptera dans sa période fastueuse jusqu’à 200 moines et ses terres s’étendront sur une quarantaine de villages aux alentours… Les cisterciens s’appliquent à valoriser les terres et à exploiter au mieux les ressources locales. En ce sens, bénédictins et cisterciens sont moteurs du développement économique de la région par les importantes évolutions agricoles et techniques qu’ils diffusent sur leurs territoires. L’on voit apparaître partout sur le territoire la culture de la vigne, rendue indispensable au grand centre diplomatique que sont les évêchés. Bénédictins et cisterciens réservent une attention toute particulière à l’acquisition de cours d’eau ainsi qu’au génie hydraulique (moulins, barrages,…) permettant l’acheminement de l’eau vers les lieux de vie (souvent implantés à distance des cours d’eau naturels) ainsi que le transport des marchandises vers les villes principales (barques à fond plat).
La puissance des ordres bénédictins et cisterciens dépasse la plupart du temps celle des seigneuries laïques. Le pouvoir est en campagne et compte bien y rester pour quelques temps. Tout le territoire alsacien s’en trouve modifié, les paysages urbains d’aujourd’hui gardent des traces de ce patrimoine religieux fondateur de l’identité campagnarde alsacienne.

Les premiers villages le long du Rhin

C’est également dès le XIe siècle que l’on atteste des premières formes urbaines organisées le long du Rhin. En effet, s’il reste des territoires vierges de toute installation humaine en Alsace, les bords du Rhin sont depuis l’époque romaine des lieux intenses de passage et de commerce. En bordure de la terrasse alluviale, des nombreuses installations villageoises se cristallisent, formant entre les villes de Strasbourg et Bâle un chapelet de villages : Rhinau, Biesheim, Ottmarsheim, Kembs, sont autant de villages déjà constitué au début du Moyen-Age.
Ces villages s’installent indifféremment sur les deux rives du Rhin. Le fleuve n’est à cette époque ni une frontière ni une limite entre deux territoires. Mais gardons en mémoire l’image du Rhin comme un fleuve capricieux, très large (pouvant atteindre plusieurs kilomètres de large) avec de multiples bras et chenaux secondaires, dont le niveau peut sensiblement varier suivant la saison. Les crues régulières du fleuve affectent de manière récurrente ces villages jusqu’aux premiers travaux de canalisation qui n’interviendront pas avant le XIXe siècle, mais il ne semble pas que cela impacte l’exploitation des ressources du fleuve et des terres fertiles à ses abords. Le fleuve est traversé quotidiennement par ces habitants. La traversée du Rhin s’effectue à pied par des gués, à sec d’îles en îles au travers de bras asséchés, par les ponts édifiés à l’époque romaine ou par bateau (bac à fond plat).
Territoire vulnérable et dangereux de l’Alsace, les rives du Rhin concentrent dès le Haut Moyen-Age, une densité urbaine remarquable par la diffusion de villages qui nous sont parvenus.

  L’Alsace des comtés et évêchés, l’âge d’or du commerce et de la ville

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A la renaissance les quartiers apparaissent, symboles de la première spécialisation des villes. Quartier des tanneurs à Strasbourg mieux connu sous l’appellation Petite France

Au côté des puissances ecclésiastiques, une multitude de pouvoirs temporels locaux participent à la diffusion urbaine et aux mutations des paysages. Cette mosaïque de pouvoirs se perçoit différemment que l’on soit en campagne (et plutôt du côté du massif vosgien) ou en ville. Que l’on soit comte ou évêque, les alliances locales vont permettre, dans une vision commune garante d’indépendance, d’exploiter le territoire et de maîtriser son aménagement. Entre volontés d’indépendance face à la montée en puissance du Saint Empire Romain germanique, et politiques de défense des provinces, de nouveaux paysages urbains voient le jour. La renaissance offre un nouveau visage à la ville, stimulée par des échanges commerciaux avec les provinces voisines et l’expansion démographique, elle ouvre la voie à une première spécification des territoires.

L’Alsace est prospère à la Renaissance.

Le XVIe siècle est témoin d’un formidable essor économique dans toute la région (prospérité économique et culturelle Outre-Rhin dès le XVe siècle dans tout le Saint Empire Romain Germanique dès le XVe siècle) qui tire bénéfice de sa situation géographique centrale dans ce qui apparaît comme l’Europe de cette époque (essor motivé par l’autonomie et l’administration propre de nombreuses villes). Sa richesse et son développement proviennent essentiellement du commerce et de l’exportation des denrées alimentaires, l’Alsace pouvant se targuer d’être l’un des plus grands greniers à blé du Royaume. Dès le début du XVIe siècle, la région noue des relations très fortes avec d’autres provinces européennes. Cet apport mutuel sera l’un des leviers supplémentaires de l’émergence d’une nouvelle approche urbaine.

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A gauche, la carte dite Carte de Cassini, date de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Elle nous informe sur la forme de la ville héritée du XVe siècle (la ville n’ayant que peu bougée depuis le XVe siècle jusqu’au XIXe siècle dans son emprise fortifiée). La ville de Colmar y est représentée entourée d’un mur de fortification. La limite entre ville et campagne est franche. Au delà de l’enceinte fortifiée, forêt, milieux humides et cultures constituent le paysage naturel. A droite, la représentation en plan de la ville (ici la superposition du cadastre sur un fond de photographie aérienne) nous donne à lire l’histoire urbaine. La trame viaire des rues, des places, la morphologie des formes bâties, le découpage parcellaire sont les outils de compréhension de la structuration de la ville par étapes. Le centre historique de Colmar, qui participe à l’image patrimoniale de l’Alsace tient dans la forme spécifique de ce tissu urbain dense, ceinturé par une rue périphérique en lieu et place des remparts. Extrait géoportail (carte Cassini / photo aérienne+cadastre)
Le renouvellement des villes à la Renaissance
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Pont sur la Lauch, rue de Turenne à Colmar. Les maisons à colombages du centre de Colmar sont marqueurs des paysages urbains du XIVe au XVIe siècle. Le quartier de la « petite Venise », rue des tanneurs, quai de la poissonnerie offrent un rapport singulier à l’eau dans la ville, aujourd’hui plus-value touristique, mais historiquement dévolue au fonctionnement de la ville au quotidien (artisanat, transport, salubrité,…).

La renaissance va exprimer tout son art, notamment dans les villes alsaciennes. S’il est un visage reconnu de l’Alsace aujourd’hui, c’est bien celui des centres villes, témoins de la structuration de villes à la Renaissance, par son architecture typique mais également par ses formes urbaines spécifiques. La ville renaissance est avant tout une vision d’esprit, issue des premières théories sur la ville (les premiers théoriciens nous viennent d’Italie). Pour les uns, il s’agit d’une ville qui répond à des exigences d’ensemble, de pureté et harmonie des formes, d’équilibre des perspectives et des volumes. Pour d’autres, le projet repose sur la rationalité des fonctions (commerce, transport, santé, protection), les regroupements des habitants suivant leur statut, la disposition équilibrée des lieux de pouvoir dans l’enceinte de la cité.
Ces éléments furent pris en compte pour redessiner et améliorer les villes existantes, et en projeter de nouvelles. La ville renaissance ne peut évidemment pas faire table rase de la ville héritée du Moyen-Age. La ville médiévale se serre en ruelles étroites, en constructions rapprochées et hautes. C’est de ce substrat urbain que se construit la ville renaissance. Les activités urbaines sont dès lors très typées : marchés, ateliers, artisanat, commerce, banque, administrations... Les quartiers apparaissent, symboles de la première spécialisation des villes (quartier des tanneurs à Strasbourg mieux connu sous l’appellation Petite France).

L’eau au cœur des villes

L’eau va d’ailleurs jouer un rôle prépondérant dans la vision urbaine de cette époque, qui se manifeste par la montée en puissance de la batellerie (parmi bien d’autres corporations de métiers). C’est autour du Rhin et de l’Ill que s’articulent la vie économique et les échanges en région. Mais à l’échelle de chaque cité (encore enserrée dans ses fortifications), l’eau est présente sous toute ses formes : canaux, bras d’eau, puits, fontaines ; l’eau permet d’acheminer des marchandises, de fournir l’eau potable dans les quartiers d’habitation, de nettoyer les rues (réceptacles de tous les déchets de la ville), participe au bon fonctionnement des métiers de l’artisanat (laver les peaux, moulins pour les farines,…). Elément naturel complexe dans sa gestion (les eaux propres ne devant pas croiser le chemin des eaux sales), l’eau dans la ville est un élément déterminant de la vie quotidienne et l’Alsace est riche de ce patrimoine (pas toujours reconnu et mis en valeur au travers des âges). Colmar n’est-elle pas surnommée à cette titre, la petite Venise…

La mise en scène de l’espace public

C’est aussi à cette époque que l’espace public, et plus largement l’environnement urbain tel que nous le définirions aujourd’hui prend son envol dans les villes. Avec les places, on assiste à la mise en place de fontaines et d’aménagement paysager d’accompagnement. Le réseau des rues et places dans les villes deviennent les lieux de composition de l’espace urbain. La place du marché, le champ de foire, sont autant de lieux publics hérités du Moyen-Age, ayant une fonction publique jamais plus remise en cause, qui sont remaniés à la Renaissance. Par quelques opérations de démolitions, on agrandit les passages, on hiérarchise les voies de circulation dans la ville, on ouvre de nouvelles places. C’est l’heure des beaux ordonnancements, des perspectives et des symétries. La renaissance introduit les formes géométriques telles que le cercle, le polygone, mais aussi les structures en étoiles dans une dimension militaire. Elle facilite le contrôle des villes qui ont des murailles de cette forme. L’exubérance des formes se traduit en architecture par une modénature teintée de réminiscences médiévales (maison Pfister à Colmar construite en 1537 pour un riche commerçant avec pans de bois en façade, galerie, oriel,…).
La ville-patrimoine alsacienne (l’image urbaine de l’Alsace que l’on rencontre dans bon nombre de brochures sur les villes alsaciennes comme les représentations de Hansi), correspond à cette période de l’histoire urbaine, dans un contexte politique, démographique, économique favorable.

Pourtant, il n’en est pas de même dans nombre de villages alsaciens dominés par une tradition agricole forte et puissance (à l’exception du piémont et des Vosges). Si l’architecture des fermes se nourrit de l’apport culturel de la Renaissance, l’espace public reste une valeur commune secondaire. On retrouve bien les rues bordant les habitations, mais pas (ou peu) de places, de lieux publics structurants dans le village. Ce particularisme peut s’expliquer d’abord par les tensions issues de la Réforme dès le XVe siècle. Nombres de villages sont doubles, et entre l’Eglise et le Temple, aucune des deux religions n’affirme sa domination par l’édification d’une place de village. D’autre part, il semble que l’organisation bâtie sur le modèle de la cour ouverte (dans une grande partie du territoire alsacien) exprime l’émergence d’un lieu tantôt public lors de fêtes de village, tantôt privé dans la vie quotidienne de l’exploitation. Signe d’usages fortement dépendants des pratiques économiques et sociales, la cour et la rue seraient dans ces villages les lieux privilégiés de la vie publique.

  L’entre-deux guerres européennes, villes et campagnes s’affirment

Les destructions de la guerre de Trente ans

Le XVIIe siècle s’avère être un siècle dramatique pour toute la région, synonyme de guerre longue, de dépression économique pendant plus de 30 ans, de déprise agricole, de dépeuplement des villes et villages. La région se retrouve en première ligne des conflits entre protestants et catholiques et est dévastée par les multiples passages de troupes.
Durant cette période de troubles successifs, de nombreux villages sont désertés, laissant des morceaux entiers de campagne abandonnés, en friche. La plupart des monastères et abbayes sont pillés puis saccagés par les troupes protestantes, de même, les villages sous autorité des communautés religieuses sont incendiés. Plus de la moitié des populations rurales sont décimées lors de ces guerres. Le traité de Westphalie en 1648 marque le rattachement de l’Alsace au royaume de France sous Louis XIV, mais, les frontières n’étant pas celles que l’on connaît aujourd’hui, le morcellement territorial aux régimes très différents ne rend pas évidente l’autorité du roi. Louis XIV récupère une série de terres en Haute-Alsace et s’impose grand bailli de la Décapole. Mais, les villes libres ne veulent pas renoncer à leur statut de villes d’Empire qui leur garantit les libertés municipales. La plupart de ces villes se voit rattachée par la force au royaume de France. Les fortifications sont démantelées à Colmar, la ville de Haguenau (la ville impériale abritait le siège de la Décapole) subit le même sort, mais est incendie quelques années plus tard. Seules les villes de Strasbourg et Mulhouse entendent conserver leur neutralité et leur autonomie. Ces deux villes échappent d’ailleurs au déclin économique et aux ravages des guerres durant le XVIIe siècle.

Les prémices de la révolution industrielle : l’exploitation des ressources du sol et de l’agriculture

Sur fond de réconciliation et d’intégration nationale, le XVIIIe siècle est davantage propice à une reprise économique qui aura des répercussions sur la démographie sur la région. Ainsi, on estime qu’à l’aube de la révolution française de 1789, l’Alsace compte à nouveau quelques 670 000 habitants, chiffre comparable à la population deux siècles plus tôt. C’est également un siècle de lente reconstruction des villes et des villages alsaciens dévastés par les guerres successives.
Ces grands chantiers amorcent un grand mouvement annonçant la révolution industrielle du XIXe siècle.
En effet, l’exploitation des ressources (carrières, minerai), l’intensification agricole (culture de la pomme de terre pour nourrir la population) et l’armement entrent dans des productions de grandes série qui nécessitent une main d’œuvre en quantité. Outre les mines de fer dans les vallées vosgiennes, le nord de l’Alsace ouvre à partir de 1772 une mine de graisse et d’huile d’asphalte (qui deviendra les futurs puits de pétrole) à Pechelbronn. La famille de Dietrich poursuit également le développement de ses fabriques (forges et hauts-fourneaux), principalement dans les Vosges du Nord.
Les prémices de l’industrialisation du XIXe siècle sont déclencheurs d’innovations techniques qui remettent en cause les processus de fabrication et par-delà, les lieux même de la production. Au service de l’Etat ou de puissantes familles, les premières usines sont des véritables lieux de représentation (comme pouvait l’être les châteaux), mis en scène à la campagne ou en ville.

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Carte d’Etat-major de Colmar à Neuf-Brisach, représentation de l’urbain au cours du XIXe siècle. Outre la forme urbaine qui s’affranchit de ses limites défensives, apparaissent les premières infrastructures ferrées et hydrauliques d’échelle régionale. La finesse de représentation permet d’analyser les structures naturelles qui jouxtent le tissu urbain : zone inondables, vergers, cultures, boisements,… et les usages associés à ces espaces. Source géoportail
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La filature Schlumberger à Guebwiller. Dès 1812, l’illustre famille Schlumberger démarre la production de cotons filés fins dans une usine bloc monumentale. Les premiers pas de l’industrie alsacienne permettent l’aménagement de territoires en marge des villes et s’appuient sur une politique sociale paternaliste qui fait émerger de nouvelles de nouvelles visions urbaines communautaires (les premières cités ouvrières, les équipements au service des ouvriers,…). Illustration tirée de l’ouvrage « Filature de Mrs. Schlumberger et Cie a Guebwiller » de Jean Mieg, Godefroy Engelmann
La révolution française de 1789 met en place un nouveau système politique, économique et social.
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La période révolutionnaire fixe la trame des villes et des villages alsaciens ainsi que le découpage administratif (les deux département du Bas et Haut-Rhin). Cette représentation des emprises urbaines actuelles résulte d’un découpage postrévolutionnaire des communes de la région (remembrement, droit de propriété,…).
La création des départements français, des communes, l’établissement des chefs-lieux et des cantons sont autant de marques d’une montée en puissance des collectivités locales, au plus près des préoccupations des territoires : le terme « Alsace » disparaît des appellations officielles, on crée les deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin séparé par le Landgraben Le projet révolutionnaire, par la nomination des 36000 communes françaises, fixe la trame ordinaire des villes et des villages alsaciens, fixe le lien géo-politique à la France. Les cartes d’aujourd’hui nous parlent de ce basculement puisqu’elles sont la représentation d’une situation figée au lendemain de la révolution. Plus aucun village ne sera fondé de toute pièce, ni ne sera rayé de la carte. La trame urbaine est donc le reflet de décisions révolutionnaires.

  L’Alsace Prussienne, un grand chantier

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L’actuelle gare de Strasbourg fut construite à partir de 1878 par les autorités allemandes, de même que la grande marquise métallique abritant les voyageurs en attente sur les quais.

En 1870, L’Alsace Moselle, de Thionville à Altkirch est annexée par la toute jeune Prusse allemande, après un conflit éclair de quelques mois seulement. Lancée par Napoléon III afin de contrer l’unification des régions voisines d’outre Rhin, cette guerre conduit à une déroute des troupes de l’Empereur et aboutit à un déplacement de la frontière jusqu’au lendemain de la première guerre mondiale en 1918.
Les villes et les villages de l’Alsace (et d’une partie de la Lorraine) sont intégrés dans un Reichsland, sorte de nouvelle région prussienne, dans l’administration connaîtra nombre d’évolutions, vers une tendance à l’autonomie régionale, à la manière des autres régions allemandes. L’intégration au Reich allemand s’accompagne de fait de l’arrivée d’une armée de fonctionnaires, chargés de faire appliquer les décisions de Berlin. En 1911, une nouvelle Constitution donne davantage de pouvoirs aux représentants locaux, et dote l’Alsace d’un parlement (Landtag) composé de deux chambres, haute et basse, ayant des prérogatives sur des sujets aussi importants que la justice, les travaux publics ou les cultes. Les nouvelles institutions du pouvoir ainsi que les grands équipements culturels s’installent à Strasbourg, notamment dans l’actuel théâtre national.

L’essor industriel

Cette affirmation de la domination prussienne s’inscrit dans un contexte économique et industriel jusqu’alors favorable en Alsace, mais qui se trouve profondément marqué par les changements de régime.
En effet, avec l’Annexion, l’industrie alsacienne se trouve coupée de ses marchés traditionnels et se doit, pour continuer à exister, de trouver de nouveaux débouchés en Allemagne. De nombreuses familles d’industriels, vont préférer quitter la ville avec machines et ouvriers pour aller s’installer en Lorraine voisine et dans d’autres régions françaises. D’autres sociétés, parmi lesquelles la maison de Dietrich, conservent une partie de l’industrie en Alsace, mais installent d’autres usines de production en France. Certaines villes déclinent de manière spectaculaire dans les premières années qui suivent l’Annexion…
Mais, la demande allemande est forte dans ce dernier quart du XXe siècle, ce qui profite aux industriels locaux, en particulier dans la métallurgie et le textile. C’est à cette époque que remonte la création des sucreries d’Erstein (fondée en 1893 par le baron Hugo Zorn von Bulach, des industriels et des agriculteurs ; cette raffinerie traite depuis plus d’un siècle toute la production alsacienne de betterave sucrière produite dans la plaine d’Alsace), des grandes miroiteries, des tanneries de Lingolshiem, de l’industrie de la chaussure au pied des Vosges du Nord, des chocolateries Schaal,… Le Rhin redevient un lieu d’échange commercial, autour duquel s’implantent de nouvelles industries. Strasbourg se tourne vers le Rhin dont le cours a été régularisé, et la ville construit un port, qui deviendra le port autonome de Strasbourg en 1926.

Exode rural et croissance urbaine

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Colmar, quartier de la gare. L’aménagement urbain sous l’occupation prussienne marque un tournant dans la vision de ville : ville ouverte, aérée, ville de nature, le nouvel urbanisme de quartiers d’habitat, d’équipements institutionnels, de places et perspectives correspond à une volonté de rendre la ville attractive et salubre. Source géoportail

De manière à sublimer le pouvoir du IIe Reich, la région va subir de profondes mutations urbaines et architecturales. Ce dynamisme économique retrouvé se traduit par un développement sans précédent des villes connaissant un véritable « boum immobilier ». Chaque ville construit son « quartier allemand », sa « Neustadt », ainsi que nombre d’équipements tels les gares, théâtres, écoles,… Pendant la période de l’Annexion, l’Alsace est un chantier permanent. Les extensions sont rendues indispensables car la période correspond à un exode rural massif (on compte en 1870 davantage d’habitants dans les villes que dans la compagne) et un afflux d’immigrés allemands. Besoin de logements en nombre, les ingénieurs du IIe Reich vont mettre en œuvre en Alsace des théories urbaines qui redessinent les villes. Portant à la fois sur la production du logement collectif et individuel « ordinaire » et sur l’architecture monumentale formée par les bâtiments publics adaptés aux fonctions politiques, administratives et culturelles, les théories urbaines sont révélatrices d’une vision de la société allemande de cette époque. Ces nouveaux quartiers doivent donc être une vitrine du savoir-faire allemand en architecture et urbanisme.

Urbanisme et hygiénisme dans les villes.

L’urbanisme allemand de cette période s’articule à la ville existante sur des axes linéaires, s’aérant de perspectives et de places. Le ou les quartiers allemands entourent la ville héritée du XVIIIe siècle, créant de nouveaux lieux de centralité à l’échelle de la ville (places ou équipements remarquables, gare,…). A une vision monumentale des avenues, des rues, des places correspond une volonté d’assainir les quartiers de centre-ville jugés insalubres, n’ayant pas forcement l’électricité et l’eau courante dans les logements. Réseaux d’assainissement collectifs enterrés, alimentation des immeubles en eau potable, réseau public d’éclairage des rues, plantation d’alignements d’arbres dans les artères principales, aménagement de parcs publics, sont autant d’éléments convoqués par les architectes et urbanistes allemands de cette époque. L’architecture est, quant à elle, symptomatique du « bon gout » de l’époque, associant ainsi références stylistiques et ornementales tirées de l’histoire, et innovations techniques issues du développement industriel telles que les charpentes métalliques ou les planchers en béton. Ainsi, le patrimoine architectural de l’Annexion s’exprime par des bâtiments néo-romans, néo-gothiques, néo-classiques ou alliant différents styles habillés de pierre de taille, de brique ou alliant plusieurs matériaux.-

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Colmar, Rue Camille Schlumberger. Les maisons s’installent dans un cadre paysager remarquable, l’espace public de la rue étant révélateur d’une sensibilité urbaine propre à ce dernier quart du XIXe siècle.
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La cour d’appel de Colmar, imposant bâtiment néo-classique, est mise en scène le long de l’avenue Raymond Poincaré menant à la gare. L’édifice est inscrit dans un parc urbain au service de la puissance symbolique du pouvoir et libre d’accès aux riverains. La générosité et la qualité de l’espace public (les rues et les places), la force qui se dégage de l’architecture des bâtiments publics sont symptomatiques d’une manière de penser la ville et son rapport à la nature.

  L’après-guerre, villes et campagnes en mutation

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L’après-guerre constitue la période où la croissance urbaine est la plus forte de toute l’histoire de l’Alsace. Nordhouse

Les deux guerres mondiales successives portent l’Alsace au centre des conflits franco-allemands. D’abord en 1914, les premiers combats ont lieu dans les Vosges, à quelques encablures de Munster et Sainte-Marie-aux-Mines. Depuis 1870, les prussiens ont construits de nombreuses casernes et fortifications à Colmar, Strasbourg, ou encore Haguenau. Mais dès 1915, les combats se décalent vers l’Ouest. L’Alsace redevient française à la fin de l’année 1918. Les villages vosgiens paient un lourd tribut lors des premiers combats : destructions, pénuries. Nombre de paysans manquent à l’appel et dès les années 1920, les autorités attirent de la main d’œuvre étrangère pour travailler dans les champs, dans les usines ou bien dans les mines.

Le 2 décembre 1939, 181 villes et villages proches de la frontière allemande sont évacués. Strasbourg est décrétée ville morte, l’administration de Strasbourg se fixe alors à Périgueux et l’université à Clermont-Ferrand. De cet épisode tragique pour des milliers de familles, il reste aujourd’hui nombre de rues dans les villes et les villages alsaciens qui portent la trace de ces évacuations massives : les ponts de la Dordogne, des avenues de Périgueux, des rues des Landes, comme la rue de Calviac à Artolsheim ou bien rue d’Ambazac à Soufflenheim.

La fin de la guerre est marquée par les évènements de la poche de Colmar : grâce à une contre-offensive surprise, l’opération Norwind, la Wehrmacht reprend pied en territoire alsacien début janvier 1945, menaçant de reprendre également Strasbourg. Elle défendra cette tête de pont pied à pied face à de grosses unités alliées. Les combats particulièrement meurtriers pour les deux camps laisseront des villages dévastés.

La reconstruction

Des structures urbaines conservées et des gabarits reproduits
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Marckosheim, rue du Maréchal Foch. De nombreux villages alsaciens sont en partie détruits lors du dernier conflit mondial. La reconstruction s’appuie sur la trame urbaine existante : parcellaire, rues, places sont conservés dans leurs positionnements et leurs dimensionnements. Seule l’architecture sobre laisse transparaître les blessures de l’histoire alsacienne.

Dans ces villages, la reconstruction (qui a pu prendre presque 10 ans) s’est effectuée sous l’autorité d’architectes de la reconstruction chargés de planifier les opérations. La trame des rues et des places est conservée dans la plupart des villages afin de garder trace du village « d’avant ». Le béton fait son apparition dans les constructions même pour les maisons individuelles, et les bâtiments intègrent les nouvelles nécessités de la vie moderne (salle de bains, WC, laveries,…). Les villages dévastés par la guerre sont reconnaissables par leur architecture dénuée de toute modénature, hormis les encadrements des baies en béton. Inutile de chercher les maisons à colombages, la reconstruction tire un trait sur les techniques architecturales ancestrales, pour autant, l’aspect global du village est préservé (les volumes bâtis, le rapport à la rue sont des constituants de l’architecture de la reconstruction empreinte à l’architecture vernaculaire).
Les villes d’Alsace ne sont pas non plus épargnées par les bombardements durant la seconde guerre mondiale. Strasbourg, Mulhouse ou Haguenau ont également beaucoup souffert. Les habitants sinistrés sont relogés dans des baraquements en bois qui feront pendant un certain temps partie du paysage de ces régions et qui seront converties par la suite en poulaillers. Ici et là, il s’agit d’un quartier éventré, ou bien de quelques immeubles endommagés. Les immeubles sont reconstruits sur les anciennes emprises, souvent en conservant les hauteurs et gabarits des anciens édifices.

Une mutation industrielle

L’économie dans la région est également à reconstruire. Les bombardements ont touché les voies de communication : ponts, voies ferrées et routes. La vie économique est désorganisée et tous les secteurs traditionnels de l’économie alsacienne sont en crise : l’industrie textile qui a amorcé un lent déclin dès les années 1930, précipite sa chute après-guerre, du fait de la production par les pays du Tiers-Monde. Les mines ferment les unes après les autres, qu’il s’agisse de l’exploitation du pétrole (production insuffisante) ou des mines de potasse (épuisement de la ressource). A partir des années 1920, on assiste à l’apparition d’industries au niveau technique élevé, dans les domaines de l’électricité et de la chimie. Après-guerre, l’Alsace se doit de valoriser ses industries innovantes.

L’explosion urbaine

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La ville de Colmar n’échappe pas à l’étalement urbain depuis les années 1950. Les infrastructures routières participent aux déplacements quotidiens des alsaciens. Routes, autoroutes, la voiture envahie l’espace urbain et péri-urbain. La ville explose : zones industrielles, zones d’activités, cités, grands ensembles, lotissements,… sont autant de nouvelles formes urbaines qui sectorisent le territoire alsacien. Source photo aérienne ancienne géoportail.

L’automobile s’impose rapidement dans les décennies d’après-guerre comme le moyen de transport le plus efficace. Outre les infrastructures nécessaires pour la circulation de la voiture, cette dernière modifie notre rapport à la ville et son propre fonctionnement. D’abord un fait, c’est durant cette période (1950-1980) que la ville s’agrandit de manière exponentielle. Elle sort de son carcan historique, passe outre les barrières naturelles (un fleuve, une zone inondable, un relief,…) et déborde sur l’espace libre (agricole), s’étendant davantage là où la pression pour construire est la plus forte et là où le site le permet le plus facilement.

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Baltzenheim, de nouveaux quartiers pour le village, une consommation foncière sans limite ? Le désir de maison individuelle à la campagne fait naître sur l’ensemble du territoire alsacien (villes et villages confondus) des quartiers d’habitation de pavillons en limite urbaine. La transition ville-campagne est sans cesse repoussée au delà sur l’espace agricole, créant de fait de nouvelles franges urbaines.

La croissance urbaine est la plus forte de toute l’histoire de l’Alsace. Jamais les villes n’ont construit autant de voiries, d’espaces publics, que lors de ces trente années d’après-guerre. La faute à l’économie qui est très fortement pourvoyeuse d’emplois, à l’immigration qui est encouragée afin de fournir davantage de main d’œuvre et à la société de manière générale qui évolue et qui aspire à plus d’espaces, à d’autres modèles pour son cadre de vie. Pour exemple, entre 1947 et 1977, la ville de Colmar s’affranchit de ses limites physiques et naturelles et voit sa taille augmenter de plus de 30%. La ville s’étend vers la campagne, et souvent, les faubourgs des villes se retrouvent absorbés par l’expansion urbaine.

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Baltzenheim, la nouvelle frange bâtie pavillonaire

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  L’Alsace d’aujourd’hui, tendances et phénomènes urbains

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Carte des villes et villages de l’Alsace. La superposition de la maille urbaine avec la géographie de la région montre une dissémination des villages sur l’ensemble du territoire que ce soit en plaine (à l’intersection du maillage routier) ou dans les Vosges (conurbation presque continue dans les vallées principales). La répartition des typologies bâties (de l’habitat continu aux emprises commerciales et artisanales) témoigne de l’agglomérat de projets au fil du temps sur un socle géographique complexe. La ville s’étend sur l’espace rural par pièces urbaines monofonctionnelles successives qui nous fait aujourd’hui parler de zonage urbain. L’articulation entre ces pièces devient un enjeu de projet urbain pour demain.

A partir des années 1990, la production urbaine prend un autre visage. Les leçons sont tirées des trente dernières décennies qui se soldent par des plans successifs de rénovation urbaine afin de lutter contre l’exclusion des populations dans des quartiers excentrés souvent mal reliés aux pôles urbains. La question du cadre de vie se pose avant tout : comment concilier envie de nature et besoin de ville.

Construire la ville sur elle-même

Initiés dans les grandes agglomérations, des projets de renouvellement urbain se dessinent dans des contextes urbains divers mais qui tendent à prendre en compte la gestion des espaces naturels dans une vision positive du développement durable. Friches industrielles, friches portuaires, emprises militaires, entrées de ville… la ville intervient sur le déjà-là, sur des territoires méconnus ou délaissés en limite de ville ou en frange urbaine, entre différents tissus constitués, nécessitant un travail minutieux de recomposition, de couture entre les morceaux de ville. Les nouveaux quartiers redessinent les villes et cherchent à apporter de nouvelles réponses à des enjeux de diversités (bâties et sociales) et de biodiversités. Urbanisme, paysage et biodiversité sont intimement liés dans la valorisation des secteurs à enjeux.
Le paysage en ville devient un élément structurant de la qualité urbaine. Les parcs, jardins, squares, jardins familiaux, avenues plantées sont des éléments constituants des paysages urbains et sont reconnus comme tels. Les espaces naturels entrent ainsi en compte dans l’aménagement des futurs espaces urbains. Vision d’aménagement, vision de vie, l’urbanisme se veut être précurseur de nouveaux habitats et modes d’habiter, davantage en lien avec les paysages naturels (mis en réseau) et connectés aux pôles urbains de commerces et services.

Les équipements en ville

Cette vision de ville, dans laquelle l’espace public paysager infiltre les modèles urbains se retrouve dans les secteurs d’équipements des grandes agglomérations. L’arrivée du tramway à Mulhouse a permis de desservir le secteur des universités au Sud-Ouest de la ville (le campus Illberg), en situation de frange urbaine.

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Strasbourg, aménagement urbain et qualité de vie. Situé entre les quartiers de l’Esplanade et du Neuhof dans le prolongement des anciens bassins industriels, le projet Malraux-Danube incarne la nouvelle dynamique urbaine de l’agglomération strasbourgeoise vers les rives du Rhin. Des démarches innovantes tant au niveau urbain (insertion, forme urbaine, mixité fonctionnelle, lien social) environnemental, qu’en terme de mobilité, voient le jour sur le territoire alsacien, signe d’une évolution de la pensée urbaine. Reconquête urbaine, recomposition des tissus urbains, densification, l’aménagement du territoire tente de concilier cadre de vie, préservation des ressources, et vie sociale.

L’espace public paysager y est très présent, traversant le campus sur toute sa longueur. Les bâtiments d’enseignement ou de services sont inscrits dans un grand parc public, la voiture étant reléguée en périphérie du site.
Le quartier du Wacken, espace dédié aux institutions européennes à Strasboug, les secteurs du Heyritz, de l’Etoile, des Fronts de Neuhof, sont tous révélateurs d’une ambition de recomposition urbaine qui s’appuie sur les valeurs géographiques, paysagères, hydrauliques pour valoriser des quartiers à fort potentiel inscrits dans l’agglomération (présence d’un réseau de transports en commun à proximité, liaisons douces vers le cœur de ville, proximité de l’eau pour la gestion des eaux pluviales,…), permettant une mise en réseau des espaces naturels et paysagers à l’échelle de la ville.

Jusqu’ici, nous n’avons abordé que les paysages des villes, entendues plus largement par les notions d’agglomérations. Mais que dire de la campagne alsacienne depuis les années 1980 ?
Les Trente Glorieuses ont eu pour effet de modifier les perceptions entre la ville et la campagne, rendant la désignation de l’un ou de l’autre toujours plus compliquée, car ne correspondant plus à une réalité sociale ou encore économique. Toujours moins d’agriculteurs dans les campagnes d’Alsace, toujours plus de travailleurs citadins désireux de venir habiter en campagne, une campagne absorbée par le développement des villes, et des villes désireuses de garder des morceaux de campagne. A vrai dire, on s’y perd un peu…

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Site mis à jour le 16 février 2015
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