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Représentations et images du Piémont Viticole
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Avec ses villages patrimoniaux nichés sur ses flancs, ses milliers d’hectares de vignes que surplombent des ruines féodales émergeant de la forêt, le Piémont Viticole compose l’image la plus diffusée et la plus stéréotypée des paysages alsaciens. Depuis 1957, la route touristique des vins permet sur plus de 100 km de parcourir ses grands crus et ses paysages au succès d’autant plus grand que des sites (Haut-Koenigsbourg, mont Sainte-Odile) parmi les plus visités de la région font partie du circuit. Le Piémont Viticole renvoie à lui seul une image quasi-idéale du paysage alsacien, et même au-delà, du paysage occidental. Ce regard porté sur le Piémont a peu évolué dans le temps, si ce n’est une certaine uniformisation des représentations qui s’accompagne d’une appétence plus vive aujourd’hui pour la graphique que dessinent les vignes.
« Lendemain au matin, trouvâmes une belle et grande plaine flanquée à main gauche de coteaux pleins de vignes, les plus belles et les mieux cultivées, et en telle étendue, que les Gascons qui étaient là, disaient n’en avoir jamais vu tant de suite. Les vendanges se faisaient lors. »
Journal du voyage de Michel de Montaigne en Italie par la Suisse et l’Allemagne en 1580 et 1581, Avec des Notes par M. de Querlon. Édition par Meusnier de Querlon du journal rédigé en route et non repris par Montaigne. Le Jay, Rome et Paris, 1774.
La bande du Piémont viticole concentre une part importante des représentations de l’Alsace.
Dans l’illustration cartographique du piémont viticole du guide Gallimard, chaque village est représenté et nommé. Grâce à une figuration à la fois naïve et pédagogique, la carte met en évidence l’organisation de ce paysage emblématique et identitaire de l’Alsace et les liens de composition qu’il entretient avec le massif Vosgien, ses sommets boisés et ses châteaux, d’une part, et avec la plaine, d’autre part.
Des représentations fixées depuis au moins le XVIIe siècle
Dans des plans larges, souvent panoramiques et faisant front aux Vosges, les représentations anciennes révèlent et valorisent la composition tout à fait spécifique des paysages du Piémont Viticole. Depuis la plaine, en une succession de lignes, les artistes dessinent au premier plan les cultures, puis le village, dominé de son clocher, groupé et niché sur les flancs du coteau couvert de vignes. L’arrière-plan est fermé par une première ligne de sommets que coiffent les châteaux féodaux entourés par la forêt.
Au XVIIe siècle, la représentation des paysages du Piémont Viticole est déjà fixée : au pied du coteau que les vignes remontent jusqu’à la forêt, les villages et les bourgs animés d’un ou plusieurs clochers s’étirent en guirlande dans un vaste espace de cultures ordonnancées et ponctuées d’arbres isolés et de vergers ; au delà du piémont, les Vosges créent un effet de barrière renforcé par la présence des châteaux ou de leurs ruines installés sur les sommets. Ici, la représentation des villages de Kientzheim, d’Ammerschwihr et de Kaysersberg dans leur environnement construit une image très forte et non dépassée des paysages du Piémont Viticole.
Dans un plan plus rapproché, le paysage de Barr est décrit ici avec beaucoup de précision et d’attention contribuant ainsi à fixer les éléments convenus de la composition de ce paysage du Piémont.
« La ville de Barr, que la belle gravure de Silbermann représente telle qu’elle se montrait aux regards, il y a un siècle, est l’une des localités le plus heureusement situées au pied des Vosges. Elle occupe, à l’entrée de la pittoresque vallée de Kirneck, la pente sud-est du Kirchberg, colline plantée en vignoble, formant le dernier contrefort du mont Sainte-Odile, dont elle est encore séparée par la côte déboisée du Moenkalb et par le mamelon qui porte les ruines du château de Landsperg, au pied même du Mennelstein et de la Bloss. De l’autre côté, la ville est adossée à la base d’une colline également couverte de vignes, appelée le Rothland (terre rouge), sans doute à cause de la couleur de son sol sablonneux.
Derrière celle-ci s’élève le sommet boisé du Crax, qui, à la fin du XIIIe siècle, était couronné par un château appartenant à un sire Cunon de Berkheim, landvogt d’Alsace. »Lucien Fretin, Compte-rendu d’un voyage en Alsace-Lorraine fait en août 1901, 1903
Ces deux gravures, respectivement de la fin du XVIIe et du début du XIXe siècles, montrent la constance du regard sur le Piémont Viticole. Sur l’image de Châtenois cependant, en élargissant encore l’angle et la profondeur de vue, l’illustrateur prend un plaisir manifeste à rendre compte avec minutie de l’organisation de l’espace : parcelles cultivées ponctuées arbres isolés, premières lignes de vignes, village installé à la rupture de pente, grandes parcelles de vignes sur le coteau chapeauté par la forêt, vallons boisés entaillant le massif vosgien aux sommets parsemés d’une kyrielle de châteaux.
Cette gravure du XVIIe siècle porte un regard original, car non frontal sur le Piémont Viticole. Regardé longitudinalement, il est représenté dans un environnement très large, s’étendant jusqu’aux horizons lointains de la plaine. Ribeauvillé, dont les maisons serrées sont protégées par ses remparts, n’en est pas moins le motif central. Alentour, parcelles de cultures, vignes, boisements et châteaux perchés situent immanquablement le paysage sur le piémont alsacien.
Des images figées de paysages immuables
« Allongée au débouché de la vallée du Strengbach, la ville [Ribeauvillé] baigne bien le pied de son front sud dans les eaux du torrent. Toutefois ses dernières maisons, le couvent des sœurs, l’église paroissiale, se tiennent déjà sur les versants du coteau, à la montée des trois châteaux de Saint-Ulrich, de Girsperg et du Hoh-Rappolstein. Les tours des châteaux vues du vignoble, au nord, se détachent sur le ciel bleu, tandis que le vert sombre des forêts environnantes contraste avec les tons plus tendres de la vigne. La vigne revêt seule les deux versants, arrondis et relevés mollement, aux contours adoucis exposés au soleil pendant toute la durée du jour. »
Charles Grad, L’Alsace, le pays et ses habitants, Hachette, 1906 [1].
Que ce soient par le biais de dessins et de gravures, ou de photographies reproduites en cartes postales, les représentations du Piémont Viticole sont d’une grande constance dans le temps. Les plans restent souvent larges. Ils embrassent le paysage dans lequel le village ou le bourg sert de point d’accroche et les vignes de motif décoratif. Le coteau est le plus souvent vu à partir de là où commence la plaine, ou plus exceptionnellement de manière tangentielle à la ligne du coteau ou de la vallée.
Dans leur composition, ces photographies se rapprochent des gravures plus anciennes : un point de vue surplombant mais pas trop, encore assez proche, une mise en valeur des composantes naturelles, agricoles et urbaines du Piémont. De manière inhabituelle pourtant, les photographes ont choisi (quand elles existent) de faire l’impasse sur les ruines féodales souvent proches.
A gauche, le motif du château surplombant la plaine prend le parti pris du bucolique. Dans une facture entre photo et peinture, le Piémont Viticole est l’image même d’une harmonie paysagère mais aussi sociale et culturelle idéalisée.
Au centre, cette carte postale qui appartient à une série intitulée « l’Alsace pittoresque et historique » insiste dans une légende incluse à la photographie sur le caractère exceptionnel du village de Bergheim. Ce dernier est représenté de loin, au centre de l’image, avec un premier plan tout occupé par les vignes.
A droite, la vue aérienne permet un large panorama sur le village accolé au coteau et d’y inclure, au fond, le château du Haut-Koenigsbourg.
Ces trois cartes postales contemporaines confirment cette constance des représentations des paysages du Piémont Viticole. Que ce soit pour Ammerschwihr ou Saint-Hippolyte, les photos aériennes permettent d’embrasser l’ensemble des composantes naturelles et bâties qui caractérisent le paysage. Au centre, dans la photographie de Riquewihr, la graphique des alignements des ceps et les couleurs d’automne de la vigne sont des caractères esthétiques mille fois repris et mis en valeur par l’ensemble des photographes, qu’ils soient professionnels ou amateurs.
Si les photographes privilégient souvent les vues lointaines ou aériennes dans les cartes postales illustrant le Piémont Viticole, une large part de ce fonds est également consacré au patrimoine architectural des villes et bourgs.
A gauche la carte postale « multivues » rend compte de ce phénomène. L’architecture ancienne, le paysage urbain ancien suffit à la représentation de la route des vins. A droite, l’éditeur a choisi la synthèse en figurant le tracé de la route elle-même ainsi que ses étapes sur un fond de paysage de vignes et de massif vosgien sur lequel une série de photos combinant images urbaines et paysage viticole se partagent l’espace de la carte postale.
« Jusqu’au-dessus de Rouffach, la chaîne bordière est fort régulière, découpée par l’entrée de courts vallons. Le pays, sur la carte, rappelle la Côte-d’Or entre Beaune et Dijon ; sur le terrain l’illusion persiste à cause de l’étendue du vignoble, de l’aspect heureux des villages, des prés et des bois qui couvrent la plaine. (…)Tout ce petit coin de pays est curieux. Ancien encore, et réservant de pittoresques tableaux, est Gueberschwihr, assis dans son vignoble à l’entrée d’un vallon très creux ouvert dans la montagne boisée. »
(…)
« Entre les deux chaînons, le val est très vert, de grands noyers, des pruniers, des prés, de la vigne dont les ceps sont disposés sur de hautes perches. Dans ce cadre riant s’allonge le village de Westhalten, d’aspect prospère. La vigne l’enrichit. »Ardouin-Demazet, Voyage en France, Les Provinces libérées, Haute Alsace, BergerLevrault, 1919
Deux sites phares de l’Alsace dans le Piémont Viticole : le mont Sainte-Odile et le Haut-Koenigsbourg
Le mont Sainte-Odile ou le Haut-Koenigsbourg sont parmi les deux sites les plus visités d’Alsace. Exceptionnels à plusieurs titres, ils sont représentés ou décrits depuis très longtemps pour eux-mêmes, pour la part qu’ils prennent dans la composition des paysages du Piémont Viticole, mais également pour les vues qu’ils offrent depuis leur promontoire sur l’intérieur du massif vosgien ou sur les paysages du piémont et de la plaine.
Spots touristiques, dans les guides « papier » ou sur les sites Internet de promotion touristique, ils sont généralement traités indépendamment des paysages auxquels ils appartiennent, l’approche patrimoniale et historique restant préférée.
Le mont Sainte-Odile
Promontoire étonnant au-dessus de la plaine, surmonté d’une abbaye où est cultivée la mémoire de Sainte Odile, fondatrice et patronne de l’Alsace, le mont Sainte-Odile, dont les vestiges préhistoriques du mur païen attestent d’une occupation très ancienne, est sans doute un des lieux touristiques les plus visités d’Alsace. Si le panorama offert à son sommet est décrit abondamment dans la littérature ancienne, les images tendent souvent à privilégier les vues sur l’abbaye et sur les constructions du mur païen. Lieu de pèlerinage depuis le Moyen-âge, le mont Sainte-Odile est sillonné aujourd’hui d’une vingtaine de circuits de randonnées à pied (balisées par le Club vosgien), en VTT et vélo, autant d’occasion d’images de paysages.
« Le spectacle qui attend le voyageur sur le plateau dédommage complètement de la fatigue. De là, la vue plane sur un océan de verdure, le regard embrasse une foule de villages qui apparaissent avec leur ceinture de houblon, de vignes et de champs de colza, au loin la cathédrale de Strasbourg dresse sa flèche majestueuse, plus loin encore se déploient les collines et les bois de la Bavière Rhénane. A l’Orient, par delà le Rhin, se dessinent dans la brume les sommets de la Forêt-Noire ; au Sud, par un temps clair, apparaissent les Alpes Suisses dont les neiges miroitent au soleil. »
Lucien Fretin, Compte-rendu d’un voyage en Alsace-Lorraine fait en août 1901, Librairie Danel, 1903 [2]
A gauche, une image des paysages du mont Sainte-Odile. Les pèlerins recueillis au pied d’une chapelle et marchant sur la voie romaine imprègnent le tableau de religiosité.
A droite, la gravure en noir et blanc accentue l’aspect extraordinaire du site du mont Sainte-Odile. Le promontoire occupé par les bâtiments conventuels se détache sur l’horizon surplombant du massif. Ici aussi, l’illustrateur met en scène les pèlerins ou simples touristes en marche vers le sommet.
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A presque deux siècles de distance, les vestiges archéologiques et leurs mystères sont toujours des occasions de représentations de paysages, même si ici, ce sont surtout les ambiances forestières qui sont servies.
Une composante des paysages du Piémont viticole
Que ce soit dans l’image touristique des années 1950 à gauche, ou, dans l’aquarelle de la fin du XIXe siècle, à droite, le mont Sainte Odile est, pour les artistes et illustrateurs, une composante à part entière des paysages du Piémont auquel il ajoute une valeur historique et mythique.
Le Haut-Koenigsbourg
« Dressé à près de 800 mètres d’altitude sur un éperon rocheux, le château offre un panorama grandiose sur la plaine d’Alsace, les vallées et les ballons des Vosges, la Forêt-Noire, et par temps clair, les Alpes... »
Visible de nombreux villages du Piémont Viticole, le château du Haut-Koenigsbourg est l’un des motifs les plus connus du Piémont. Représenté dans son paysage ou pour lui-même, décor aussi de cinéma [3], il fait partie de l’imaginaire savant et populaire des paysages alsaciens.
Ces deux représentations font partie de l’imagerie populaire. A gauche, le paysage est fait de lignes et couleurs stylisées. Le motif du château est mis en valeur par les jaunes et les bleus des horizons et des crêtes au lointain.
A droite, l’illustration du calendrier des Postes présente un point de vue assez similaire. En faisant appel au motif de la ruine (le château n’est pas encore restauré), l’illustrateur s’inscrit dans un registre ancien et romantique. Mais il fait également référence aux plaisirs plus modernes de l’excursionnisme que vulgarise à l’époque le Club Vosgien
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Deux exemples de représentations contemporaines des paysages du Haut Koenigsbourg.
A gauche, la photo aérienne embrasse l’ensemble du paysage géographique dont on peut ainsi comprendre l’organisation. Le château est représenté comme une composante parmi d’autre du paysage.
A droite, Jean Isenmann tire parti de toutes les opportunités photographique offertes par le site : photos patrimoniales (le château est représenté en tant qu’objet architectural) ; paysages de proximité (le château est classiquement intégré dans son paysage de vignoble), panoramas (du château, des vues panoramiques s’ouvrent sur le piémont en contrebas et sur l’horizon de la plaine et des Alpes)…
Les rivières, la campagne, les routes : des motifs marginaux
Des représentations, surtout anciennes, mettent aussi en scène d’autres composantes du paysage que les motifs identitaires. L’eau et les rivières, la campagne jardinée entourant les villages, ou parfois les routes plantées… tous ces éléments sont présents dans les représentations des paysages du Piémont Viticole mais restent marginaux.
La rivière
Les rivières et leurs vallons qui entaillent le massif des Vosges et débouchent sur le piémont viticole sont relativement peu décrits au regard de leur présence dans le paysage. Mais, quand l’eau est représentée, elle devient un élément essentiel du paysage auquel elle apporte de la vie.
A gauche, dans cette représentation d’Andlau, la rivière au cours impétueux donne à la ville un caractère montagnard peu habituel dans les représentations du Piémont Viticole.
Dans la gravure de droite, le site naturel et pittoresque de la rivière ouvre à l’horizon sur l’esquisse de la ville dont on perçoit le clocher.
Dans ces trois images, les rivières créent des ambiances originales éloignées des représentations traditionnelles du Piémont.
A gauche, la rivière, dégagée, aimante, malgré son emprise modeste dans le tableau, le regard vers sa lumière. Au centre, la ville de Molsheim et son église semblent intimement liées à l’étendue d’eau de la rivière qui, au premier plan, crée un espace et un décor à la fois plaisant et apaisant.
A droite, cette représentation d’Obernai témoigne de l’existence d’autres types de paysages du Piémont Viticole où la fabrique, dans sa relation avec la ville, la rivière et le relief devient un motif à part entière du paysage.
Cette représentation classique dans les composantes paysagères qu’elle met en scène (village au pied du coteau, sommets des Vosges, etc.) est considérablement enrichie par la présence de la rivière et du pont. Les personnages pittoresques qui semblent savourer les plaisirs de l’eau ajoutent encore de la vie à ces paysages du Piémont Viticole souvent empreints de rigidité.
La campagne, les routes et les chemins
De la même manière que l’eau, la campagne, ses travaux, ses différentes cultures apportent aux représentations des éléments d’animation aux paysages du Piémont Viticole.
Dans ces deux images de Barr, la campagne qui, en bordure de plaine, précède la ville et le piémont des Vosges proprement dit, est montrée comme participant pleinement à la composition du paysage : à gauche, dans une facture classique, où l’espace des cultures permet le dégagement visuel suffisant à la mise en scène de la ville et des reliefs ; à droite, dans un souci plus documentaire où la banalité du lieu (verger, potager, arpents de vignes) joue à part égale avec les éléments bâtis, les cheminées d’usines, les coteaux, la vigne et les sommets couronnés de ruines.
Trois photographies originales des paysages du Piémont dans lesquelles les routes plantées sont considérées comme parties prenantes des paysages. Ce qu’indique clairement le commentaire inscrit sur la carte postale de droite « La route, qui de St-Hippolyte conduit au château, est continuellement à découvert : de sorte que de tous les points de vue de son parcours, les regards s’étendent sur l’immense plaine d’Alsace et les contreforts des Vosges. »
[1] [1] Cet ouvrage est disponible sur le site de la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France (Bnf) Gallica
[2] Disponible sur le site gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
[3] Le château du Haut Koenigsbourg a servi de décor à de nombreux films. Le plus célèbre est sans doute le chef d’œuvre de Jean Renoir La grande Illusion (1937) dont une partie des scènes est tournée dans l’enceinte du château.