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Représentations et images des Vosges du Nord
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Montagne peu élevée mais aux saillies parfois abruptes, petites vallées abritant des villages cernés de forêts que subliment parfois des ruines de châteaux du Moyen Âge, parcours de randonnées encadrés par le Club vosgien : telle est l’image globale des paysages des Vosges du Nord. Mais, comparées au reste du massif, mieux pourvu en ambiances de haute montagne (les ballons) et en patrimoine architectural et historique « incontournable », les Vosges du Nord restent moins représentées, tant dans l’iconographie que dans les textes. Le travail effectué par le Parc naturel régional, notamment autour de la biodiversité et des paysages, contribue à terme au renouvellement des représentations, sans doute aujourd’hui encore trop partielles et réductrices.
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Dans l’ensemble du massif vosgien, ce sont les Vosges du nord qui restent les moins représentées par la carte postale. On voit quelques sites se détacher comme ceux de Saverne et de ses alentours, en limite de l’unité de paysage du Piémont nord. Le nombre de cartes postales dépend en grande partie ici de la présence ou non de ruines médiévales dans les villages.
Les châteaux médiévaux : le motif principal des paysages des Vosges du Nord
La représentation des paysages des Vosges du Nord passe presque obligatoirement par celle des ruines de châteaux médiévaux. Depuis le XIXe siècle, ce sont eux qui attirent artistes et photographes par le pittoresque de leurs situations sur des escarpements rocheux. Les couleurs des pierres taillées dans le grès, les saillies des murs en ruines, font aussi leur intérêt pictural ou photographique. Fleckenstein, Hohenbourg, Lichtenberg… ont suscité, et suscitent encore de nombreuses images.
Fleckenstein, un exemple représentatif
A gauche, le peintre fait du château l’objet essentiel de son tableau. Au centre de l’image, il domine l’ensemble d’un paysage que de modestes maisons – presque des masures - , des vaches gardées par une jeune fille, des arbres artistiquement placés, imprègnent d’un pittoresque académique. La montagne, la vallée ne semblent être représentées que pour donner un décor au château de Fleckenstein.
A droite, à l’instar de la gravure d’Émile Schweitzer, ce dessin du début du XXe siècle, intègre les ruines du château de Fleckenstein dans le paysage, sujet principal de la représentation. Le dégagement de la vallée qu’aucun objet n’encombre, les quelques arbres isolés dans la prairie, l’horizon fermé par la montagne que subliment les ruines du château…, le tout dans un agencement harmonieux, compose une icône des paysages des Vosges du Nord.
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Deux manières de représenter les ruines de Fleckenstein : à gauche, le photographe l’intègre dans son paysage dont il saisit les principales composantes, et dans une succession de plans : champs cultivés plus ou moins entourés de masses boisées ou de haies, horizon montagneux. A droite, dans cette photographie récente et en couleurs, le paysage est délaissé au profit de la mise en valeur de la ruine elle-même que l’environnement très boisé contribue à rendre inaccessible et mystérieuse.
Les autres sites défensifs
Les autres sites défensifs présents sur l’unité de paysage des Vosges du Nord occasionnent une production d’images assez semblables à celles du château de Fleckenstein. Le pittoresque, parfois associé au bucolique, principaux moteurs de la représentation ancienne, produisent en conséquences des images relativement interchangeables.
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Le Graufthal, un site qui « vaut le détour »
« Devant les fenêtres de l’Oberhof passent les chemins de Saverne, de Dossenheim et de Phalsbourg, dans un paysage avec un cadre gracieux de montagnes et de prairies, où tout est vert, sauf le ciel et les routes. La forêt commence à cent mètres du groupe de maisons, avec ses épais ombrages de hêtres d’une part, de sapins de l’autre. Les routes elles-mêmes sont plantées d’arbres, ainsi qu’une partie des prés et quelques champs cultivés par exception sur les pentes douces d’une colline au premier plan, au lieu de se trouver avec les autres terres labourables au plus haut des plateaux, au-dessus des forêts. Une maison forestière, l’auberge où j’ai logé et la pension Matthis composent tout le groupe de maisons. Le village du Graufthal est retiré plus en arrière dans la vallée. Le cours sinueux de la Zinzel forme bordure au potager et au verger de la pension. Un fort pont en pierres de taille, à trois arches, livre passage au ruisseau, dont le lit, entaillé à 4 ou 5 mètres de profondeur, décrit de nombreuses boucles à travers les prés. Ces boucles, ces capricieux méandres, en s’éloignant, pour revenir ensuite sur eux-mêmes, conduisent le courant d’eau d’un bord à l’autre de la vallée. Peu large et souvent imperceptible depuis la route, le sillon est marqué par des saules ou des aulnes formant rideau par places et parfois isolés. Sur la gauche, derrière la maison forestière, des couches de poudingues dominent la route à une grande élévation, formant des escarpements en surplomb, avec une plate-forme moussue et des bruyères en haut. Tout l’ensemble de ce site laisse une profonde impression de calme. Tout le paysage exprime une sérénité parfaite. Toute la scènerie est riante. De même que le regard, l’esprit se repose. Si nos montagnes offrent ailleurs des perspectives plus grandioses, nulle part elles ne sont plus gracieuses.
A 3 kilomètres en arrière de l’Oberhof se trouve le hameau du Graufthal ou Graufel, annexe de la commune d’Eschburg. Presque tous les vallons latéraux présentent des fermes isolées, des scieries ou de petits moulins. Moulins et scieries sont mis en mouvement par des ruisseaux, avec des chutes plus ou moins fortes, dont l’eau s’amasse dans des bassins-réservoirs plus ou moins grands, formés par des digues artificielles.
(…)
Quel singulier aspect présente pourtant le Graufthal ! Les maisons du hameau, toutes blanchies à la chaux, ainsi que la façade des troglodytes, se disséminent dans deux vallons formant fourche autour d’un énorme escarpement de grès, pareil à un bastion gigantesque. L’église, privée de clocher et de chétive apparence, est bâtie à l’angle de ce rocher. Au-dessus de la première rangée de maisons apparaissent les habitations établies dans les cavernes à l’intérieur de l’escarpement. »Charles Grad, L’Alsace, le pays et ses habitants, Hachette, 1906 [1].
Graufthal est un site représenté par les artistes sans discontinuer depuis le début du XIXe siècle en raison de sa particularité - à la confluence de deux rivières - et de la beauté de l’affleurement des grès qui en fait un lieu aujourd’hui de découverte de la géologie pour les scolaires. Le site de Graufthal est classé depuis 1938 parmi les sites et monuments naturels de caractère artistique, historique, scientifique, légendaire ou pittoresque.Voir les sites protégés d’Alsace
Une exposition sur le regard posé sur ce lieu depuis le XVIIIe siècle par des artistes (peintres, photographes, illustrateurs, lithographes) est proposée dans l’une des trois maisons restaurées.
http://www.maisonsdesrochers-grauft...
L’image de gauche tirée d’un ouvrage consacré aux antiquités de l’Alsace présente une vision ténébreuse de ce site de Graufthal qui fut occupé par une abbaye. La falaise escarpée de grès et ses maisons troglodytiques, la vallée encaissée de la Zinsel prise dans la brume et les nuages, la montagne entièrement boisée donnent un caractère de haute montage à ce site des Vosges du Nord. Le paysage est représenté ici comme très inhospitalier, malgré la présence au premier plan des bâtiments de l’abbaye et des personnages qui semblent écrasés par le site naturel.
Plus d’un demi-siècle plus tard, l’image de droite présente, à l’inverse, une vision très humanisée du même site. Les rochers se font beaucoup moins menaçants et presque accueillants, notamment grâce aux couleurs éclatantes des enduits des maisons troglodytiques. Le village semble non plus dominé par le relief mais au contraire, y être à l’abri. La rivière, le ciel bleu, ajoutent encore de la gaîté à l’ensemble.
Cette photographie contemporaine du site s’attache exclusivement aux maisons troglodytiques. Dans les représentations modernes, le paysage alentour a quasiment disparu, alors que site général de Graufthal n’est est pas devenu avec le temps moins « photogénique ».
Des villes et des villages, composantes des paysages
Les bourgs et villages des Vosges du Nord sont moins représentés pour eux-mêmes, avec leurs rues, leurs maisons, leurs habitants, que ceux des régions d’Alsace aux reliefs moins mouvementés. Ils sont souvent ici figurés comme des composantes intrinsèques du paysage, et d’autant plus, s’ils sont associés à un relief remarquable, à un ancien ouvrage défensif, perchés sur une hauteur, ou au contraire lovés au fond d’une vallée.
Villages perchés : La Petite-Pierre
Niederbronn, en limite de piémont
Niederbronn-les-Bains [2], est une des villes des Vosges du Nord les plus présentes dans les représentations anciennes, en raison certainement de l’existence des deux attractions que sont les sources thermales et la fonderie De Dietrich. Aujourd’hui, il semble que les regards se soient détournés des paysages de Niederbronn, la production contemporaine d’images restant, notamment sur Internet, assez pauvre.
Les images anciennes ne manquent presque jamais de mettre en valeur le paysage qui entoure la ville, comme ici, dans ce panorama. Le regard se porte ici du piémont vers le massif où le dessinateur semble s’amuser du contraste entre l’aspect rangé et presque jardiné de la ville lovée dans la vallée et la rudesse des grandes courbes à la fois lisses et inhabitées des montagnes voisines. La silhouette d’un château, et l’arrière plan occupé par un sommet de type haute montagne, accentuent encore l’opposition entre ces deux univers.
Cette vue présente un point de vue classique des Vosges du Nord. Du piémont, le regard est tourné vers la barrière vosgienne. Les ruines du château, perchées, sont en position de guet au-dessus de la vallée. L’univers policé de la ville s’oppose au monde plus obscur et mystérieux de la vallée qui s’enfonce dans le massif.
Petites vallées : les exemples d’Obersteinbach et Reipertswiller
« C’est un village-rue qui s’étend d’est en ouest, la photographie est prise perpendiculairement vers le nord. Le village est installé dans la vallée du Steinbach qui s’écoule vers l’est et la plaine d’Alsace. Les clairières et les larges fonds de vallée sont rares dans les Vosges du nord. Les grandes surfaces planes ou faiblement inclinées de grès dominent (arrière plan). Ces tables gréseuses sont très généralement occupées par un couvert forestier continu. Les médiocres sols acides et le manque d’eau qui s’infiltre rendent toute activité agricole difficile ». [3]
Le photographe, dans cette vue aérienne, en choisissant de représenter le village dans la continuité de la vallée, en saisit ainsi la cohérence du développement. A gauche, le coteau assez raide est investi par des boisements, à droite, là où la vallée est élargie, les cultures peuvent se déployer.
Des représentations contemporaines en voie de renouvellement
Le travail accompli sur le parc naturel régional des Vosges du Nord, comme les interventions d’artistes sur la « Route de l’art contemporain en Alsace » permettent un renouvellement, certainement encore trop confidentiel mais réel, des représentations.
L’observatoire photographique du PNR des Vosges du Nord
Si le rôle d’un observatoire photographique est avant tout de saisir, dans le temps, les transformations d’un panel représentatif de paysages, sa mise en œuvre est l’occasion de renouveler les représentations des paysages. Les lieux photographiés ne sont pas toujours ceux les plus représentés par ailleurs, ni les plus connus.
La politique qui consiste également à passer commande, dans ce cadre, à des artistes photographes ne peut que contribuer à porter un nouveau regard sur le paysage tout en enrichissant la palette des lieux « dignes d’intérêt ». Ainsi, comme l’indique le PNR lui-même, « La mise en place d’un observatoire dans le parc vise plusieurs objectifs (…) » dont celui de « porter un autre regard sur le paysage des Vosges du Nord, les photos ne témoignent pas d’un paysage idéalisé mais montrent des paysages ordinaires : des villages qui se développent en périphérie et dépérissent au centre, des plateaux que l’on cultive de manière plus intensive et que l’on traverse plus vite, des vallées qu’on n’exploite plus ».
Dans les Vosges du Nord, le PNR a demandé à Thierry Girard de participer à ce travail d’inventaire.
Thierry Girard, Les ruines de la Lutzelhardt, 1977-2000
PNR des Vosges du Nord
Un exemple, extrait du site du PNR des Vosges du Nord [4], du regard porté par le photographe Thierry Girard sur l’un des sites emblématiques de la région, les ruines de la Lutzelhardt. En noir et blanc, sous un angle qui exclue volontairement tout pittoresque, le photographe saisit le paysage dans ce qu’il semble avoir de plus trivial, nous invitant à nous y attarder. Implicitement, il nous invite à nous interroger sur les codes et les valeurs des représentations des paysages.
Les interventions d’artistes sur la route de l’Art contemporain en Alsace
Une autre manière de regarder les paysages, et ainsi d’en faire émerger de nouvelles représentations, est d’y faire intervenir des artistes plasticiens. Cette démarche associant art contemporain, paysage et patrimoine, se développe un peu partout en France, à des échelles variées. La « route de l’Art contemporain en Alsace », initiative du Centre européens d’actions artistiques contemporaines (CEAAC), propose une promenade où paysage et art sont mêlés. Dans les Vosges du Nord, l’œuvre de Patrick Meyer Sequoia Mirabilis à Niederbronn, en est une des étapes.
- Sequoia Mirabilis, une oeuvre de Philippe Meyer à Niederbronn
- Séquoia, bois, cuivre, dispositif optique conçu par l’École nationale supérieure de Physique de Strasbourg, hauteur 15 m
« Répondant au souhait de la mairie de Niederbronn de conserver malgré sa mort un séquoia, emblématique de son parc forestier, Patrick Meyer* décida de garder cet arbre dans sa position verticale mais en l’élaguant et en réduisant à 15 mètres sa hauteur originelle. Son sommet est « couronné » d’un chêneau circulaire en cuivre destiné à recueillir les eaux de pluie qui descendent alors le long d’une saignée verticale sur toute la hauteur du tronc et, par une gouttière oblique, alimentent une rigole, elle aussi circulaire, creusée dans un socle de bois qui entoure le pied de l’arbre. Une autre saignée verticale mais diamétralement opposée à la première et plus large de section est pratiquée au flanc de l’arbre. Dans sa partie supérieure, elle abrite un miroir orientable incliné à 45°. Cette construction permet au visiteur, par le biais d’un système optique, de voir de l’intérieur de l’arbre, le panorama environnant capté par ce miroir placé à plusieurs mètres de hauteur dans le flanc de l’arbre. (…)
* L’artiste travaille sous hétéronyme. Pour Sequoia Mirabilis, il a fait appel à Eliot Irgendwo qui élabore un ensemble d’œuvres ayant un rapport avec la nature, le paysage, des expériences visuelles : Géographies » [5].
Route de l’Art contemporain en Alsace, CEAAC, sd
[1] Cet ouvrage est disponible sur le site Gallica.fr
[2] Niederbronn-les Bains, située à la limite du massif et du piémont vosgien est plutôt incluse, dans le découpage de l’atlas, dans l’unité du Piémont Nord. Cependant, la littérature l’assimile volontiers à l’ensemble générique des Vosges du Nord.
[3] Extrait de la légende de cette photographie mise en ligne sur le site du CRDP d’Alsace.
http://www.crdp-strasbourg.fr/data/...
[4] Site internet de l’observatoire photographique du PNR des Vosges du Nord : http://www.parc-vosges-nord.fr/html...
[5] Extrait de la brochure de présentation des œuvres de la route de l’Art contemporain en Alsace disponible sur le site de http://www.tourisme67.com/pdf/thema...