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Premiers regards

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La plaine du Rhin entre Forêt Noire et Vosges. Vue depuis le Haut Koenigsbourg. Orschwiller
Les paysages alsaciens se sont modelés, dessinés à travers les péripéties de l’histoire de la terre, des hommes d’hier, de ceux d’aujourd’hui.

Chaque territoire a connu plusieurs strates de roches et à l’échelle historique, plusieurs vagues de bâtisseurs de routes, de villes et de campagnes. Ces phénomènes ont laissé leur empreinte dans la forme des reliefs, des ruisseaux, des champs, des bourgs, des maisons. Chaque époque de bâtisseurs a construit ou déconstruit l’œuvre de ses prédécesseurs.

L’histoire a également tracé des limites peu visibles mais bien présentes dans les esprits comme la ligne bleue des Vosges, le landgraben qui sépare Haut-Rhin et Bas-Rhin, les frontières entre dialectes, entre ville et campagne, entre natifs et « néos ».

Enfin quelques puissantes évolutions sont en cours dont nous sommes partie prenante. Certaines sont bien connues, d’autres moins, comme la refonte complète des dynamiques de l’eau depuis 150 ans ; leur influence sur le paysage mérite un effort de décodage. Chaque génération a ainsi fait évoluer ce paysage au gré de ses propres besoins.

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La plaine du Rhin est un pays-frontière, ou une frontière-pays. C’est là sa richesse, et ce qui a largement déterminé les contrastes de ses paysages.

L’Alsace en quelques chiffres

- 8280 Km2 : soit la plus petite région française métropolitaine

- 190 km de long sur 50 km de large en moyenne

- 3343 km2 de surface agricole utile

- 3170 km2 de forêts

- Point culminant d’Alsace : le Grand Ballon 1 424 m, situé dans le Haut-Rhin

- Deux départements : Bas-Rhin (67 préfecture Strasbourg) et Haut-Rhin (68 préfecture Colmar)

- 904 communes

- 1,8 million d’habitants soit 223 habitants par km2, presque deux fois plus que dans l’ensemble de la France métropolitaine (source INSEE-2011)

- 5 grandes aires urbaines de la région : Strasbourg (757 609 habitants), Mulhouse (281 520 habitants), Colmar (126 302 habitants), Haguenau (60 061 habitants) et Saint-Louis- Bâle (Suisse) (89 308 habitants). (source INSEE-2008)

Vu de loin, un territoire contrasté

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Vu depuis une corniche vosgienne, le paysage alsacien paraît simple et ses 50 à 80 km de large s’étendent à portée de vue, encadrés par les lignes des Vosges et de la Forêt Noire. Schwebwiller

Sur la carte, l’Alsace est un petit rectangle bien calé entre Vosges et Rhin, à l’exception du « nez » de l’Alsace Bossue. Cette plaine adossée à sa montagne est grande comme le tiers de la Lorraine, le quart du Bade Wurtemberg voisin.

Vu depuis une corniche vosgienne, l’impression se confirme : le paysage alsacien paraît simple et ses 50 à 80 km de large s’étendent à portée de vue, encadrés par les lignes des Vosges et de la Forêt Noire. Quand il en a pris possession, Louis XIV y a vu un grand jardin, à la française, sans doute. Il est vrai que l’eau ruisselle de partout, et le soleil alsacien fait le reste : la plaine alsacienne est un jardin intensivement aménagé, cultivé, depuis plus de 2000 ans.

La sociologie, en première approche, apparaît simple elle aussi : les ouvriers dans les cités industrielles, les vallées vosgiennes, et dans le bassin minier au nord de Mulhouse ; les germanophones et les protestants au nord, les catholiques au sud. Et les alsaciens en Alsace, les allemands en Bade, les suisses en Suisse.

Vu de près, une mosaïque de nuances

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Chaque bourg continue de composer avec les forces de la nature : l’eau, l’inondation. Des ruisseaux, des parcelles agricoles subsistent souvent jusqu’au cœur du bourg.Muttersholtz

Redescendant d’un ballon des Vosges, la route bascule soudain à-travers un mur forestier avant de s’ouvrir à nouveau sur le large sillon alsacien. On débouche inévitablement sur un village niché sur sa colline plantée de vignes. En contrebas, des collines ondulent à perte de vue au nord de Guebwiller. Plus au sud, le vignoble s’arrête directement sur la plaine.

Jusqu’en 1950, les « bons pays » de la plaine fertile étaient regroupés dans le Bas Rhin, tandis que la plaine du Haut Rhin était riche de ses industries.

Aujourd’hui, la plaine se traverse partout à travers des champs entrecoupés d’écrans boisés ; l’on se demande où se cache le Rhin. De grandes clairières de champs sont traversées de lignes impeccables de pylônes électriques imposants. Partout, les champs bien peignés relient des bourgs cernés de gros lotissements et des villes industrielles que l’on approche à-travers une ceinture de grosses routes, de ponts sur des canaux, de voies ferrées.

Vu de près, le puzzle de forêts indique les mauvaises terres : forêt sèche des terres trop pentues, trop acides, trop carbonatées, forêt humide des terres inondables. Les pentes de la montagne recèlent des sols de profondeur très variable.
A l’approche de la plaine, Les « bons pays » de terres fertiles et faciles à travailler s’étendent à perte de vue ; ils sont convoités depuis la préhistoire. Ailleurs, le paysage de champs et de bois apparaît sans grande logique apparente. Chaque paysan a appris à composer avec de l’acide, du calcaire, du sec, du mouilleux.
Sur les terrasses basses, le drainage et l’irrigation ont effacé les bois maigres des mauvaises terres. La fertilité des sols oscille toujours cependant en quelques centaines de mètres, au gré d’un dénivelé de quelques mètres quasi imperceptible, d’une lentille d’argile ou d’un dépôt de limons éoliens après l’une des plus récentes glaciations.
Chaque bourg continue de composer avec les forces de la nature : l’eau, l’inondation. Des ruisseaux, des parcelles agricoles subsistent souvent jusqu’au cœur du bourg.

Vu de l’intérieur, une complexité transfrontalière

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La ligne des Vosges a longtemps constitué la frontière de l’Alsace. Wildenstein

Vue de l’intérieur, l’Alsace regorge en paradoxes. Les spécificités de chaque terroir sont marquées, mais les contre exemples sont trop nombreux pour enfermer les terres, les hommes, dans des classifications trop simplistes.

L’eau omniprésente est l’héritage d’une mer d’Alsace disparue ; faut-il y voir un clin d’œil aux nombreuses spécialités culinaires de poisson ? La dernière incursion marine s’est retirée à l’ère tertiaire, laissant derrière elle ses vases argileuses où les alsaciens exploitent aujourd’hui des étangs poissonneux.

Chaque famille, chaque entreprise compose avec deux cultures, deux nationalités, deux réseaux de partenaires, et souvent deux religions. Dans les esprits, ces lignes de démarcation s’entrecroisent souvent dans un même parti politique, une même famille, et jusqu’au cœur de nombreux alsaciens.

La frontière d’aujourd’hui est du côté du Rhin mais 90 ans avant Clovis, la frontière culturelle et linguistique était déjà du côté des Vosges. Jusqu’à Louis XIV, les comtes d’Alsace préfèreront la protection des empires germaniques plutôt que du roi catholique des lorrains.

Il reste que chacun a des proches qui traversent le Rhin chaque matin pour aller au travail à Kehl ou à Bâle. La diaspora alsacienne a des aïeux et des descendants prussiens, suisses, lorrains, polonais, savoyards, et plus récemment italiens, algériens, turcs. Certains sont célèbres dans tous ces pays.

Le paysan est souvent ouvrier, l’ouvrier est souvent paysan. Le dialecte, qui reste vivace, emprunte sans vergogne à l’allemand, au français, au yiddish. La pratique religieuse reste plus importante qu’ailleurs en France, alors même que l’effort d’affranchissement du pouvoir religieux est l’un des plus anciens d’Europe. Le droit compose avec deux codes depuis le concordat de Napoléon.

L’histoire récente a plusieurs fois demandé aux alsaciens de choisir entre deux camps qui s’entre déchiraient, comme s’il fallait choisir entre sa jambe droite et sa jambe gauche. Parmi les oncles morts au combat, dans presque chaque famille, certains portaient l’uniforme de la république française, d’autres celui du kaiser prussien, d’autres celui de la Werhmacht.

Dans les villes industrielles de la plaine, les défis culturels sont redistribués avec l’arrivée de ces nouveaux alsaciens, surtout urbains, qui n’ont vécu que 10 à 30 ans de cette histoire locale.