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La plaine nouveau centre économique

Sur fond de crise de l’industrie traditionnelle, l’Alsace entre de plain-pied dans les fameuses Trente Glorieuses. Bien plus rapidement que d’autres régions excentrées, l’Alsace peut enfin se targuer d’occuper une position centrale en Europe, au cœur de la « banane bleue » (espace fortement urbanisé entre Londres et Turin et qui concentre les flux économiques de l’Europe ; le nom évoque la forme de cet espace géographique), véritable poumon économique et social de l’Europe en marche vers son unification. D’abord économique, cette construction européenne touche les paysages alsaciens en premier lieu. Entre les années 1950 et 1980, les villes et les campagnes d’Alsace connaissent de profondes mutations qui expliquent la complexité des paysages urbains contemporains tels qu’ils nous apparaissent aujourd’hui.

Tout d’abord, de nouvelles industries viennent se substituer aux activités en déclin et modifient profondément les structures industrielles. Les industries textiles, du pétrole ou de la mine connaissent un profond et irréversible déclin, entrainant des régions entières dans des crises sociales (les vallées vosgiennes se trouvent sinistrées par l’abandon des usines de tissages, de filatures,…,) marquant un coup d’arrêt au développement urbain de ces vallées alors mises en sommeil jusque dans les années 1990). Ainsi, d’un point de vue géographique, les zones d’implantation et de développement des nouvelles usines se déplacent des vallées (centres historiques de l’industrie textile) vers la plaine et les abords du Rhin (de l’Ouest vers l’Est), se rapprochant du Rhin (et donc de l’Allemagne) et des principales voies de communication. Après 1955, un emploi sur trois créé en Alsace l’est par une entreprise étrangère, dont la moitié par des entreprises allemandes (l’Alsace est alors et pour quelques décennies la région qui reçoit le plus d’investissements étrangers et qui exporte le plus gros pourcentage de sa production industrielle)

La plaine d’Alsace, nouvel eldorado économique

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A la sortie de Grussenhiem (Haut-Rhin), un nouveau repère visuel émerge des étendus agricoles. Les silos sont les nouveaux « châteaux » de l’agriculture céréalière.

Durant cette période, de profondes mutations agricoles orientent de manière durable les villages alsaciens de la plaine d’Alsace vers la culture intensive des céréales. Avec le soutien d’une Europe en construction, l’avenir de l’agriculture en Alsace est en cause. Le constat est posé du nombre élevé d’agriculteur au regard des surfaces cultivées, du morcellement des terres, et de la rentabilité trop faible eu égard aux moyennes nationales.




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Témoins de la tradition agricole des villages de la plaine, à Elsenheim (Bas-Rhin), l’organisation des constructions (anciennes exploitations agricoles) ménage des cours ouvertes sur rues. Les porches sont révélateurs de l’importance de l’exploitant.

Là, comme partout en France, on a donc remembré (c’est à dire regroupé plusieurs parcelles afin de constituer une exploitation agricole d’un seul tenant), mécanisé, s’orientant vers une agriculture intensive, dépendante des industriels de la chimie pour améliorer les rendements. Le nombre d’exploitants a considérablement diminué, passant de plus de 30% de la population active au sortir de la seconde guerre mondiale à seulement 5% en 1975. Les chevaux et autres animaux indispensables à l’exploitation agricole sont remplacés par les tracteurs et les machines agricoles toujours plus puissante.




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Comme nombre de villages de la plaine d’Alsace, les rues de Grussenheim sont marquées par la succession de pignons (avec toiture à deux pans) des constructions qui s’implantent en limite de l’espace public.

La plaine d’Alsace devient en quelques décennies le grenier à grains (blé, mais) de la grande région. Les villages de la plaine sont marqués par cette tradition agricole, et ont su conserver une silhouette singulière. Le village d’Artolsheim, par exemple, s’organise le long d’une rue principale (il peut également s’agir d’un village en croix), et, les bâtiments forment une cour ouverte sur la rue et donnant accès aux terres cultivables à l’arrière. Le pignon du bâtiment d’habitation s’installe en limite de parcelle côté rue, et le paysage de la rue est rythmé par cette succession de pignons aux toits pentus de part et d’autre. Souvent, l’espace de la cour est délimité côté rue par un porche haut permettant le passage des engins agricoles. Chacun des bâtiments donnant sur la cour ayant une fonction spécifique (habitation, écuries, hangar pour le matériel, stockage des récoltes,…), la taille de la cour est fonction de l’importance de l’exploitation. Si aujourd’hui, nombre de bâtiments sur cours ont été transformés en habitation, il n’en reste pas moins que ce patrimoine bâti est révélateur du système agraire dans la plaine et du morcellement des exploitations avant le remembrement.

De nouvelles infrastructures au cœur du couloir rhénan

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La raffinerie de pétrole au Nord de l’agglomération de Strasbourg s’inscrit un maillage complexe de voies de communication qui constituent la nouvelle armature de transport de la région. Source géoportail

Si les principaux centres industriels (électricité, chimie, raffineries, automobile, à Bieshei, Ottmarscheim, Saint louis…) se déplacent hors des centres urbains et s’installent sur les bords du Rhin, c’est bien du fait d’une réelle politique d’infrastructures à l’échelle nationale voir européenne. A partir des années 1950, les pouvoirs publics aménagent à grande échelle (on voit grand et loin…).








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Ancienne raffinerie Pétroplus de Reichstett. De près comme de loin, les centres industriels de la plaine constituent de nouveaux paysages construits « hors la ville » et identifiables par l’utilisation de métal dans la construction.

Ainsi, l’oléoduc sud européen permet la création des raffineries d’Herrlisheim et de Reichstett. Le projet du grand canal d’Alsace est porté afin de soutenir les échanges en vallée du Rhin. La voiture, rendue accessible à un large public, et la construction des autoroutes A36 et A4 permet de relier toujours plus vite les centres urbains entre eux. Paris n’est plus qu’à 4h30 de Strasbourg et Mulhouse à 1h30 de Strasbourg. Enfin, l’aéroport de Bâle-Mulhouse accueille ses premiers passagers en 1970 après déjà une longue histoire débutée avant même la fin du conflit mondial.



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Agglomération de Colmar, rocade Ouest. Les infrastructures routières lourdes (autoroutes, routes express,…) qui jalonnent le territoire alsacien en périphérie des villes historiques, participent à l’éclatement urbain et à la fragmentation des lieux de vie.

Toutes ces infrastructures (qui n’auront de cesse d’être améliorée, étendues,…) créent un véritable maillage (rue, routes, autoroutes, échangeurs, carrefours, rond, point,…) dans lequel les villes et villages d’Alsace se trouvent dépendants du transport automobile. L’attraction des entreprises, de la population a lieu en fonction de la présence ou non des voies de communication modernes. Une nouvelle hiérarchie urbaine se crée, conditionnée par le réseau de transport. Fini le temps ou l’on cultive, produit, consomme et recycle au même endroit, à partir des années 1950, l’agriculture est gourmande en terres, l’industrie a besoin d’importantes emprises foncières, et la ville (où l’on vit, travaille, habite) au sens traditionnel du terme tente de trouver de nouvelles formes répondant aux enjeux de la modernité en marche. C’est à partir de cette période que l’on considère que les rapports villes-campagnes sont bouleversés, car les lieux de production et de consommation sont maintenant séparés, segmentés, reliés par les infrastructures de transports.