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Le logement ouvrier et les cités- jardins

La montée en puissance de l’industrie en Alsace, conjuguée avec d’importants travaux en ville (restructuration du tissu urbain ancien, nouvelles percées, destruction d’anciennes habitations), déclenche une pénurie de logements que les villes tentent de juguler. Dans la poursuite d’un nouvel ordre social, avec l’émergence toujours plus forte d’une classe moyenne ouvrière, les villes industrielles alsaciennes (en l’occurrence Strasbourg et Colmar font office d’avant garde) en optant pour la forme urbaine de la cité-jardin.
Le mouvement des cités jardins (théorisé outre Atlantique) s’est alors rapidement répandu à l’Europe et l’Allemagne du IIe Reich, au travers de ses architectes, engage les premières expériences de ces cités ouvrières d’un nouveau type dès les années 1900. Vision de ville nouvelle, ville à la campagne, les cités-jardins amorcent à l’échelle de la ville une requalification globale des faubourgs, et se veulent être moteur du développement moderne des banlieues pour remédier à la crise du logement. Ainsi, la construction urbaine de la banlieue par la formule de la cité-jardin ouvre la voie à un urbanisme social créatif.

La Cité du Stockfeld au Neuhof, une cité à la campagne

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La cité-jardin du Stockfeld à proximité du centre-ville de Strasbourg est bâtie sur une surface de 12 hectares entre 1910 et 1912. Son plan rationnel et orthogonal permet de créer une trame d’espaces publics qui relie les grands équipements du quartier (école, maison de quartier,…). Fond géoportail

Pour cette opération, la ville cède un terrain de plus de 24 hectares pour une somme dérisoire, à plus de 6km du centre ville de Strasbourg. Le terrain est situé au Neuhof, en bordure de la forêt du Rhin. La production du cadre bâti est laissée à des structures coopératives fondées spécialement pour ce type d’opération. Ainsi, la maîtrise d’ouvrage de la construction de la cité-jardin du Stockfeld est confiée à la Société coopérative de logements populaires, fondée en 1899 pour créer des « logements ouvriers salubres et à bon marché ». C’est le début du logement de masse pour des familles à petits revenus désireuses de devenir propriétaire.

Hiérarchie viaire et transport en commun

Située à l’écart des grands axes de circulation, la cité-jardin du Stockfeld développe sa trame verte dans un plan rationnel et géométrique dont les variations créent une atmosphère pittoresque de village alsacien. Jusqu’en 1960, la cité-jardin était desservie par une ligne de tramway, qui permettait de la relier au centre ville de Strasbourg. Le plan est organisé en un système d’îlots carrés de quelques 100m de côté délimités par des rues hiérarchisées qui créent un ensemble paysager d’unités de voisinage variées.

Maisons-types et architecture identitaire

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L’architecte de la cité-jardin imagine différents types de maisons (unifamiliales, jumelées, en bande,…) toutes inspirées de l’architecture traditionnelle alsacienne (toiture à longs pans, poutres apparentes, volets en bois,…). Source CRDP Alsace

L’architecture reste empreinte de références rhénanes et alsaciennes, par l’utilisation du colombage des constructions notamment mais plus globalement par les volumétries des habitations (volumes compactes, toitures en pentes fortes, auvents, tourelles, tuiles plates,..). Ce qui frappe dans ce type d’opération (on retrouve ces mêmes spécificités dans la cité des Vosges à Colmar par exemple), c’est la répétition des types de maisons. Ici, la cité-jardin est constituée de six types de maisons, normalisées. La diversité des maisons-types (pour des types de familles) permet d’introduire un système de loyers à bon marché variés : des maisons unifamiliales jumelées, des maisons plurifamiliales regroupant quatre logements,…

Jardins et espaces verts

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A l’arrière des maisons se trouvent des jardins potagers pour les locataires des maisons. Outre leur rôle de production, ces jardins avait également une vocation hygiéniste et moralisatrice. Source CRDP Alsace

Les jardins et les alignements d’arbres constituent la trame verte de la cité-jardin : c’est l’élément identitaire de la morphologie urbaine. Les habitations sont séparées de la rue par une clôture délimitant un petit jardin d’agrément. Alignées en bordure d’îlots, elles dessinent un vaste espace central au cœur découpé en jardins potagers. Des chemins de terre orthogonaux permettent de circule à travers les jardins potagers, au cœur des îlots, et relient les voies secondaires de la cité. Chaque logement se voyait attribuer un jardin potager qui devait apporter aux habitants un complément alimentaire, jugé indispensable pour participer au fonctionnement de la famille.

Des équipements collectifs

De plus, le modèle de la cité-jardin comprenait des équipements collectifs et des commerces qui se distinguent par leur architecture soignée et par leur mise en scène dans l’organisation globale du quartier (souvent bordant un espace public central). Ainsi, la maison de l’administration de la cité, sur la place des Colombes, adopte une architecture entre modernité et tradition alsacienne (oriel sur jardin, encadrement de porte en grès des Vosges et lignes simples,…). Vécue comme une expérimentation de nouvelles formes urbaines, inspirée de la tradition associative allemande, la cité-jardin est aujourd’hui perçue comme un modèle urbain qui a été transposé dans la plupart des villes de l’Alsace. Symptomatique des territoires hors la ville, la cité-jardin est une constituante des paysages urbains, intégrée à la ville par l’extension urbaine du XXe siècle.