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Abbayes et monastères, des points de puissance dans le paysage

Véritables point de puissance dans le territoire alsacien, les abbayes et monastères colonisent des terres souvent hostiles dès le VIIe siècle. Devenus d’importants propriétaires fonciers, ils établissent des aires d’influences locales pouvant regrouper des villes, des villages, des surfaces agricoles ou boisées. Ce sont des communautés indépendantes qui concentrent leur développement autour de valeurs spirituelles, sans pour autant négliger les valeurs du travail manuel et les échanges commerciaux qui, au Moyen-Age se développent largement le long de l’axe Rhénan et de part et d’autres du massif vosgien.

Le massif des Vosges est cerné du Nord au Sud par une ceinture d’abbayes, de monastères et de couvents, qui, jusqu’à la révolution française, quadrillent le territoire montagnard. Ce sont autant de points de repères lors des déplacements sur le territoire alsacien : que ce soit sur les piémonts alsaciens (Saint Jean de Saverne, Marmoutier, Andlau) ou dans les vallées vosgiennes (Murbach, Guewiller, Munster), le patrimoine abbatial est riche de sa diversité de style (du roman au gothique, du gothique au baroque), de situation (dans et hors la ville), de rapport à la géographie (en fond de vallée, sur un promontoire,…). Ainsi, la situation emblématique du couvent de Saint-Odile avec une vue imprenable sur la vallée du Rhin, le Bade-Wurtemberg et la Forêt-Noire, est unique. Voir et être vu, ces sites offrent des belvédères étonnants sur toute la région, reconnaissables depuis les grands axes de circulation de la plaine du Rhin.

Murbach, une des plus puissantes abbayes du Saint Empire Romain Germanique.

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L’abbaye s’insère dans un cadre paysager remarquable qui atteste de son pouvoir et de son rayonnement sur les campagnes avoisinantes.

Près de Guebwiller, dans le Haut-Rhin, le hameau de Murbach s’inscrit dans un site naturel exceptionnel, dans un vallon, entouré des montagnes au pied du Grand Ballon. Dévastée par les Hongrois, ses terres annexées lors de la Révolution française, il ne reste de l’abbaye de Murbach que le souvenir de sa puissance et une petite partie de l’abbatiale : le chevet et le chœur de style roman sous les deux grandes tours en grès rose.

Fondée en 727 par le neveu d’Odile de Hohenbourg, fondatrice de l’abbaye du mont Sainte Odile, l’abbaye va connaître une expansion fulgurante, grâce aux dons des seigneurs, d’abord locaux, puis européens. Le grand empereur Charlemagne sera lui-même, un temps, abbé laïc de Murbach, alors qu’il offrit à l’abbé Simbert le titre d’évêque d’Augsbourg.

La première grande crise de l’abbaye se déroule en 926, lorsque les Hongrois pillent le lieu ; sept moines alors en place sont tués, et prendront le statut de martyrs reconnus dans toute l’Alsace. Mais l’abbaye se relève et continue son expansion : elle acquière des terres en Allemagne, en Suisse, elle obtient également la gérance de mines, de châteaux et même de sites thermaux. Au point qu’en 1228, l’empereur du Saint Empire Romain Germanique, Frédéric II de Hohenstaufen, offre aux abbés de Murbach le statut de princes-abbés, les possessions de l’abbaye devenant alors principauté d’empire (ce qui lui donne une quasi-totale autonomie de gestion). Charles Quint cèdera même le droit régalien de battre monnaie à l’abbaye. L’abbaye est alors à son apogée.

A partir de la fin du XVIe siècle, la gloire de l’abbaye décline peu à peu. Les troupes du duc de Saxe viendront même saccager l’abbaye en 1625 et 1640, et le prince-abbé perd le droit de battre monnaie quand, en 1648, l’Alsace est cédée au Royaume de France.
Les moines décident de quitter définitivement l’abbaye en 1720 pour rejoindre Guebwiller. Du coup, l’abbaye, laissée vide, est sécularisée en 1764, et devient un chapitre de chanoines. Avec la Révolution française, le coup de grâce est porté à l’abbaye anciennement si glorieuse. Le chapitre est saccagé et déserté et le dernier prince-abbé meurt en 1839.