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Représentations et images des Hautes Vosges

Magnifique, fabuleux, exceptionnel… les adjectifs, tant hier qu’aujourd’hui, employés pour décrire les Hautes Vosges, ses vallées, ses sommets, ses cascades, ses lacs… témoignent de la reconnaissance ancienne et continue des sites et des paysages de la partie la plus spectaculaire et montagnarde du massif vosgien. Sentiers de randonnée et route des Crêtes donnent un accès facile à ces paysages dont les images, innombrables, couvrent assez équitablement l’ensemble du territoire. Dans cette production pléthorique, les représentations restent stables : les sites naturels et leur richesse écologique sont privilégiés, les panoramas à partir des sommets plébiscités. Mais les vallées, dans leur variété et leur identité propre, constituent également des accroches pour la découverte des paysages des Hautes Vosges.

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Nombre de cartes postales par communes sur le site de vente en ligne de cartes postales anciennes Delcampe
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Cartes postale des sites des Hautes Vosges, collection particulière
















« Au-dessus de Munster est le col de la Schlucht, un des points les plus dignes d’être visités dans les Vosges. Élevé à 1150 m d’altitude, il a un accès facile, malgré sa hauteur, par les deux versants de l’Alsace et de la Lorraine. Une magnifique route de montagne y conduit, reliant Munster avec Gérardmer. Au point culminant de la route on trouve un chalet-hôtel, avec vue sur le versant alsacien, au-dessus de la gorge qui descend dans la vallée de la Fecht. Nulle part vous ne rencontrez une plus grande affluence de touristes, ni au cirque de Gavarnie dans les Pyrénées, ni à la chute du Rhin à Schaffhouse, ni au Giesbach de l’Oberland bernois. Aucun passage des Vosges ne mérite d’ailleurs une égale attention pour la hardiesse de l’exécution ou pour la grandeur du paysage. »

Charles Grad, L’Alsace, le pays et ses habitants, Hachette, 1906

Les sites des Hautes Vosges sont les parmi les plus représentés d’Alsace.

Panoramas sur l’Alsace

Le Grand Ballon ou le Hohneck, de par leur altitude, offrent les points de vue les plus dégagés sur les paysages de l’Alsace, et au-delà. La fréquentation du massif vosgien par marcheurs et autres randonneurs a suscité de nombreuses représentations panoramiques depuis la fin du XIXe siècle.

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X. Imfeld (ill.), Ballon de Guebwiller, Panorama (extrait), Berger-Levrault, 1881
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Du haut du Grand Ballon, la vue s’étend vers l’est, jusqu’au Rhin, la Forêt-Noire, les Alpes. Ce panorama de la fin du XIXe siècle réalisé pour le Club Alpin Français, au dessin très soigné, s’inscrit comme une représentation générique du massif vosgien et de l’Alsace.

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Panorama
In : Grand Ballon : le tour du sommet, au cœur d’un site protégé, PNR des ballons des Vosges, sd

Ce panorama stylisé, issu d’une brochure du parc naturel régional des Ballons des Vosges, présente un circuit de randonnée autour du Grand Ballon. La légende met en avant l’aspect « naturaliste » et pédagogique du paysage et notamment ce qu’il « dit » de l’histoire géologique de la montagne. La plaine d’Alsace, comme souvent dans les représentations contemporaines, est noyée dans la brume d’où n’émerge que l’esquisse d’un îlot figurant la ville de Mulhouse.

Des paysages de haute montagne

La montagne, ses attributs grandioses et « sublimes », est un sujet de représentation paysagère depuis au moins le XVIIIe siècle. Les Vosges et particulièrement les Hautes Vosges ont été une destination de choix pour les écrivains, les voyageurs, les illustrateurs. A partir du milieu du XIXe siècle, les photographes prennent le relais et immortalisent les paysages grandioses des ballons et leurs alentours.

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Paul-Jean Moisson, Paul Nourrisson, 21 photographies de sites des Vosges (départements des Vosges et du Haut-Rhin) et 1 vue de Bâle, 1887 (extrait)
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Cime, arête, escarpement… les légendes de ces trois photographies extraites d’un recueil de la fin du XIXe siècle témoignent de l’attrait des visiteurs des Vosges pour les paysages où s’exprime la haute montagne. Pour ceux qui les représentent, dans les Vosges comme dans tous les massifs montagneux d’importance, ces attributs donnent une valeur intrinsèque au paysage.

Lacs et cascades à foison

« En approchant du Grand Ballon (ou ballon de Guebwiller) les Vosges n’ont plus partout cette verdoyante parure de forêts qui fait le charme du Hohwald ou du Donon. Il y a plus de Chaumes servant de pâturages, des bruyères encore, plus d’espaces gris et pelés que la neige recouvre durant six mois. Un beau lac aussi, le lac du Ballon, formé derrière une digue morainique, très poissonneux, paraît-il en ce moment, il paraît d’un noir d’encre, dans sa ceinture de sapins sombres, sous les nuées violettes, emportées par l’ouragan et que des éclairs déchirent. Car l’orage vient d’éclater. »

Lucien Fretin, Compte-rendu d’un voyage en Alsace-Lorraine fait en août 1901, Imprimerie L. Danel, 1903

Les lacs, qu’ils soient naturels ou artificiels, font partie des composantes identitaires des paysages des Hautes Vosges. Ils ont été longuement décrits par les voyageurs, dessinés, immortalisés en cartes postales ou en affiches. Présentés comme des havres de paix où des sites de nature sauvage, ils sont toujours le but de promenade ou de randonnée. Dans la période contemporaine, le classement de certains d’entre eux pour leur richesse biologique (lac de Sewen) contribue à leur attractivité et à leur représentation en tant que paysages.

« Le lac Blanc était noir. Était-ce la réflexion des sapins qui le dominent ou de celle des nuages qui, ce jour là, changeaient le ciel en une vaste tache d’encre. Tout noir qu’il était le lac Blanc nous parut très beau, très pittoresque, dans un cirque de rochers d’aspect sauvage. »

Maurice Fauste, Là-bas : promenade en Alsace en 188…, Privas, 1895

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François-Jules Collignon, Le lac Blanc, Vue générale, 1837
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
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Jacques Rothmuller, Le lac Noir près Orbey, 1850, in : Musées pittoresques et historiques de l’Alsace (1858-1863)
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Le lac Blanc et le lac Noir sont des sites reconnus et très visités des Hautes Vosges. Les représentations anciennes en sont nombreuses et s’attachent à exprimer le caractère âpre, dur de la nature de leur paysage. On est loin des images adoucies aux ciels toujours bleus qui voient le jour à partir du XXe siècle et qui perdurent aujourd’hui.

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Georges Osterwald, Lac du Ballon d’Alsace, Vue générale, fin XIXe siècle Au premier plan, chemin de schlittage
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
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J. N. Karth, Darensee, Lac de Soultzeren, 10 août 18, 1918
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Ces vues de la fin du XIXe siècle, en couleur, offrent des ambiances secrètes et paisibles aux paysages des lacs des Hautes Vosges. Dans l’image de gauche, l’artiste inclut un aspect documentaire et pittoresque à son tableau en ajoutant au premier plan la représentation d’un chemin de schlittage. Dans celle de droite, les fleurs et les couleurs donnent un caractère davantage sauvage et bucolique au lac de Soultzeren.

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A gauche, Chemins de fer d’Alsace et de Lorraine, Le ballon de Guebwiller et le lac de la Lauch, sd ; à droite, Jean-Jacques Waltz, dit Hansi, Le lac du ballon, carte postale, 1909
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Dans ces deux images, les lacs aux eaux claires sont encadrés de versants raides et boisés. Des arbres du premier plan cadrent la vue et enrichissent de leurs lignes verticales la composition : grands résineux élancés dans l’affiche publicitaire des chemins de fer au graphisme stylisé caractéristique, feuillus replets aux couleurs automnales dans la carte postale d’Hansi.

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A gauche, Le lac Blanc, photo de 2013 ; à droite, carte postale, collection particulière
Photo de gauche, Tourisme-vallée-de-kayserberg.com

Aujourd’hui, les représentations, presqu’exclusivement photographiques, se démarquent peu des images anciennes. Le sujet principal est toujours la nature. Mais les paysages d’hiver pratiquement inexistantes au XIXe et au début du XXe siècle, se développent avec la pratique des sports d’hiver. Cette nouvelle manière de regarder les paysages vosgiens les rapproche davantage encore des représentations de la haute montagne.

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A gauche, Jean-Nicolas Karth, Lauchen Sprung au Florival près Guebwiller, fin XIXe siècle ; A droite, Jacques Rothmuller, Cascade de la Thur dit Heidenbad au fond de la vallée Saint-Amarin, 1840
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Les cascades, comme les lacs, sont des attributs typiques de la haute montagne. Nombreuses dans les Hautes Vosges, elles constituent un sujet récurrent des représentations paysagères. Eaux déferlantes, rochers, arbres… le motif donne à l’artiste, peintre ou illustrateur, l’occasion d’exercer et d’exposer son savoir-faire et son talent. Aussi, ces images sont-elles en général génériques, relativement interchangeables et peu parlantes en termes de paysages.

Pâturages et hautes chaumes, les alpages vosgiens

« En route ! Notre projet d’itinéraire porte : de la Poutroye à la Schlucht par le lac Blanc. Nous nous faisons indiquer les chemins de traverse, car la route est longue ; naturellement, ces chemins de traverse vont encore allonger notre course. Nous montons, nous montons ; dans la côte de nombreuses maisons sont disséminées : les villages s’éparpillent ainsi sur de vastes terrains jusqu’aux chaumes.
(…)
Sur la montagne, de vastes étendues presque arides, ce sont les chaumes. Des vaches maigres et des chèvres étiques paissent une herbe clairsemée parmi laquelle fleurissent misérablement des pensées sauvages, des bruyères naines, quelques clochettes jaunes sans parfum.
(…)
Nous rencontrons des cahutes basses, où l’on fabrique du fromage ; elles semblent inhabitées, pas un bruit n’en sort, leur aspect est triste et pauvre. Par endroits, sur les versants, on a tenté de boiser : les arbres poussent à peine, maigres et rabougris. Les chaumes veulent garder partout leur misérable nudité
. »
Maurice Fauste, Là-bas : promenade en Alsace en 188…, Privas, 1895

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G. Osterwald, Pâturages dans les Vosges, sd
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Cette aquarelle ne localise pas précisément le lieu représenté mais introduit des composantes identitaires très fortes des paysages des Hautes Vosges : les pâturages d’altitude et leurs animaux, les sommets aux formes plus ou moins arrondies qui encadrent des vallées encaissées et boisées.

Les pâturages à proximité des villages ou les hautes chaumes en altitude sont, avec les animaux qui les accompagnent, les motifs d’une représentation ancienne, pittoresque et humanisée des Hautes Vosges. Aujourd’hui, les pâturages d’altitude font l’objet d’une grande attention notamment pour leur richesse écologique. Plusieurs de ces milieux sont actuellement protégés. Aussi, les images contemporaines qui les concernent s’intéressent-elles surtout à leurs éléments naturels, notamment floristiques.

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A gauche, Jean-Nicolas Karth, Au Frankenthal, vers 1850, In : Album Souvenirs de la vallée de Munster, 1850-1855 ; à droite ; Breitenbach, vue sur un hameau, début XXe siècle
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Les bêtes, vaches, chèvres, sont des constituants vivants des paysages des Hautes Vosges. A gauche, l’artiste, dans une tradition pittoresque et galante, crée un paysage arcadien, une vision idéalisée et harmonieuse où culture et nature s’accordent.
A droite, la photographie témoigne à l’inverse d’un univers teinté de rudesse et de relatif dénuement sans doute plus proche de la réalité et du compte-rendu qu’en fait Maurice Fauste à la fin du XIXe siècle.

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A gauche, H. Hoffmann, Lac blanc, Vue générale, vers 1911 : à droite, Félix Luib, Grand Ballon, Vue générale, vers 1907
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Éloignées des villages, les hautes chaumes qui coiffent les sommets arrondis des ballons ou jouxtent les escarpements du Hohneck, cadrés par la forêt, offrent de grands dégagements dans et sur les paysages. A droite, la photographie, d’une grande rigueur de composition, met au premier plan des arbres fruitiers alignés le long du chemin qui, de la vallée, donne accès au sommet.

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A gauche, La réserve naturelle régionale des Hautes Chaumes de Ruthenbach ; à droite, Paysages de Hautes chaumes, photographies de Jean Isenmann
Photo de gauche : Tourisme-alsace.com
Photo de droite Photo-alsace.com

Aujourd’hui, les hautes chaumes sont souvent représentées pour leur richesse écologique. A gauche, le photographe les a pourtant incluses dans un contexte paysager large, mais sans pouvoir pour autant rendre réellement perceptible la différence entre les milieux, et notamment celle entre chaumes et espaces plus boisés. A droite, le photographe met au premier plan flore colorée, symbole de la richesse écologique des pâturages, alors que l’arrière-plan identifie immanquablement l’espace vosgien.

Les vallées, entre nature et culture

Portes d’entrées du massif, les nombreuses vallées (la Liepvrette, le Val d’Orbey, la Munster traversée par la Fecht, la Thur, le Val d’argent et ses anciennes mines……) sont décrites autant pour leurs beautés géographiques et paysagères que pour les activités humaines qui s’y sont développées. C’est pourquoi, nombre d’images du XIXe et du début du XXe siècle montrent aussi l’industrie comme partie prenante du paysage des villages et bourgs.
La désindustrialisation, et la dévalorisation concomitante des paysages industriels, se traduit par la disparition des usines de l’imagerie contemporaine. Aujourd’hui, les représentations sont principalement focalisées sur les paysages naturels, supports d’activité de loisirs et de développement économique alternatif.

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A gauche, Constant-Duval, Les Vosges, Chemins de fer d’Alsace et de Lorraine, sd ; à droite, J. Weber, Aubure, Vue générale, 1890
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

A gauche, l’illustration cartographique détaille le massif vu depuis son versant alsacien. Avec efficacité, le dessinateur valorise dans toute son amplitude le réseau des vallées qui entaille le massif et permet de le pénétrer (les routes sont emphatiquement rehaussées en rouge).
A droite, cette vue d’Aubure de la fin du XIXe siècle caractérise assez bien l’ensemble des représentations disponibles sur les villages des vallées des Hautes Vosges : le bourg, groupé autour de son église, se détache de sa couronne de prairies. A la fois ouvert sur la plaine d’Alsace que l’on aperçoit à l’arrière plan, il est protégé par l’encaissement de la vallée dont l’entrée est surveillée par deux châteaux situés au sommet d’éperons rocheux. Le bourg d’Aubure est ainsi comme situé à l’interface de l’espace alsacien et de l’espace montagnard vosgien.

Les illustrations anciennes et les cartes postales qui représentent les paysages des vallées des Hautes Vosges sont innombrables. L’inscription du village et du bourg, de ses maisons dans l’espace cadré de la vallée constitue la composition la plus fréquente.

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A gauche, Henri de Renaucourt, La vallée de Munster, Chemins de fer d’Alsace et de Lorraine, sd ; à droite, Charles Greiner, Oderen, vallée de Wildenstein, Chemins de fer d’Alsace et de Lorraine, sd
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Dans ces deux images touristiques diffusées par les Chemins de fer d’Alsace et de Lorraine, les vallées de Munster et de Wildenstein sont regardées depuis des belvédères. A gauche, la vallée de Munster « considérée comme une des plus belles vallées d’Alsace [1] » est présentée sans trop de détails, dans la beauté brute créée par le relief et l’occupation du sol. A droite, l’illustrateur compose un tableau humanisé et plus précis, dans lequel chaque élément participe de l’harmonie de la composition : l’église sur son promontoire, les villages s’égrenant dans la vallée, les routes plantées traversant champs et prairies aux couleurs chatoyantes, le cadre majestueux offert par les versants boisés et, au fond, l’horizon de la montagne.

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A gauche, J. Mieg, ill. et G. Engelmann, Haut-fourneau et fonderies de messieurs Henri Stehelin à Bitschwiller, 1823 ; à droite, Société industrielle de Mulhouse, Ateliers de construction Martinot et Galland à Bitschwiller, 1902
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

En moins de 100 ans, le paysage industriel des bourgs et des vallées a profondément évolué ainsi que le regard porté sur lui. De la fabrique artisanale peinte par J. Mieg au début du XIXe siècle à l’usine photographiée en 1902, la vallée de la Thur à Bitschwiller ne présente pas le même visage.
L’aquarelliste du XIXe siècle composait un tableau où cheminées et fumées d’usine s’intégraient harmonieusement dans un paysage à la fois industriel et champêtre. Le mouvement des reliefs montagneux que des couleurs pastel rehaussaient participaient également à l’entreprise d’idéalisation paysagère.
A droite, au contraire, la photo de 1902 représente le paysage dans sa trivialité : l’usine qui semble se dérouler comme le lit d’un fleuve est, comme dans l’aquarelle de 1923, le sujet de la représentation, mais le photographe a renoncé à toute sublimation esthétique. A l’arrière-plan, les habitations s’étendent dans l’espace de la vallée déjà très urbanisée que ses versants boisés, banalisés par l’absence de matière picturale, n’arrivent à aucun moment à rendre riante.

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Bitchwiller, cartes postales, collection particulière

Les points de vue choisis par les photographes de ces trois cartes postales, à une ou deux décennies de distance, sont radicalement opposés. A gauche, le photographe choisit de montrer le bourg sous un angle documentaire, sans affect. Rien n’est occulté, des lotissements au second plan à gauche, à l’extension de la ville vers l’amont.
Au centre, le photographe surplombant la vallée et le village, choisit de mettre en valeur le paysage grâce à un premier plan ouvert de prairies plantées d’arbres fruitiers. A droite, le point de vue est sensiblement le même, si ce n’est une accentuation encore plus forte de l’ambiance champêtre, sinon bucolique, rendue par la présence au premier plan d’une branche d’arbre en fleurs.

Route des crêtes

« Aujourd’hui, plus de difficultés qui entravent les communications et les transports d’Alsace en Lorraine ou de Lorraine en Alsace. S’il se présente un torrent, la route défie ses eaux tumultueuses et les franchit d’un saut sur des ponts solides. Si les monts opposent des flancs trop abrupts, elle s’y accroche en s’allongeant sous forme de lacets multiples comme les replis d’un serpent. Vallées, villages, usines, lacs, rivières, pâturages, landes, cultures, prairies et forêts apparaissent, se suivent et s’étagent tour à tour sur son parcours jusque dans la région des nuages. »

Charles Grad, L’Alsace, le pays et ses habitants, Hachette, 1906.

Depuis sa construction pendant la guerre de 1914-18 et son adaptation à l’automobile dans les années 1920, la route des Crêtes permet de traverser les Hautes Vosges et de découvrir ses paysages. Les nombreux auteurs qui, après la Grande Guerre, ont parcouru l’Alsace la décrivent avec beaucoup d’application, s’émerveillant de la performance technique de sa construction. Sur son trajet, le col de Schlucht tient une place de choix.

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Route des crêtes et routes vosgiennes, cartes postales modernes, collection particulière

A gauche, la route des crêtes est prétexte à montrer les sites touristiques qu’elle dessert. A droite, de manière plus originale, la carte postale expose les routes vosgiennes et leurs aménagements (tunnels, parkings, tables de pique nique…) comme des paysages en soi, les mettant ainsi au rang de motifs de paysage.

Le Viel Armand, lieu de mémoire

« Entre la vallée de Thann et celle de Guebwiller s’élève le massif le plus élevé des Vosges, que domine le Grand Ballon ou ballon de Guebwiller. C’est sur le revers oriental de ce puissant bastion, au sommet de l’Hartmannswillerkopf, le « Vieil Armand », comme le dénommèrent les poilus, que se livrèrent des combats acharnés et meurtriers. La montagne en porte encore les traces lugubres : à plus de deux cents mètres du sommet, il ne reste pas un seul arbre de la forêt, jadis une des plus épaisses des Vosges ; la roche est partout bouleversée et effritée. Sur la pente du Molkenrain, face au champ de bataille, un vaste cimetière a recueilli les restes des défenseurs du « Vieil Armand ». C’est au-dessus de ce cimetière que se construit le monument encore inachevé qui doit commémorer les longues batailles de l’Hartmann : c’est une vaste plateforme recouvrant une église ossuaire où trois chapelles distinctes seront consacrées au souvenir des morts des trois confessions catholique, protestante et juive. »

André Hallays, A la France. Sites et monuments. L’Alsace : le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, Touring club de France, 1929

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A gauche, François Flameng, Metzeral, Croquis de guerre, 1916 ; à droite, François Flameng, la vallée de Munster, 1916
in : L’illustration, numéro spécial en couleur de Noël 1916

Les combattants de la Grande Guerre sont installés dans le paysage des Vosges, objet et symbole de leur combat.

« Tenir cette vue-là n’aurait pas changé le cours de la guerre »
« Ici, face au HWK [2], les Vosges forment une barrière parallèle au Rhin, et font face à leur homologue allemande, la Forêt-Noire. Au milieu, la plaine d’Alsace. Au nord de la plaine, Colmar. Au sud, Mulhouse, allemande, puis Belfort, verrou français. Le HWK est une sorte de plateau qui tombe à pic sur le milieu de la plaine. Un site d’observation superbe d’où on aperçoit le Rhin et en contrebas, la ligne de chemin de fer. La plaine d’Alsace est allemande depuis 1870. Sur toute la zone du front, en cette fin 1914, c’est ici la seule zone où les Français se battent en terre ennemie. Ils tiennent la crête des Vosges. Mais ce piton leur résiste. Prendre le HWK les mettrait aux portes de l’Allemagne…

Mais le général Cochin admet que tenir cette vue-là n’aurait pas changé le cours de la guerre. Depuis le HWK, impossible de lancer une armée à l’assaut de la plaine d’Alsace. "C’était d’abord pour la vue, mais après, l’autre objectif est ce que j’appelle un “objectif stratégique de prestige”. »

Laurent Valdiguié, 14-18 : Des tranchées sur le toit des Vosges, Journal du dimanche (JDD), 19 août 2013

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Vue générale du Vieil Armand
© OT Cernay et région du Vieil Armand

Les vues contemporaines du Vieil Armand s’attachent davantage au mémorial qu’au paysage dans lequel se sont déroulés les combats, alors que la vue imprenable offerte sur l’Alsace et donc sur l’Allemagne était l’un des principaux enjeux des combats.

[1] In : Alsace, (Encyclopédie du voyage), Gallimard, 2011

[2] Hartmannswillerkopf ou Vieil Armand