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Représentations et images des Vosges Moyennes

Au centre du massif, les Vosges Moyennes ont suscité et suscitent encore toute une iconographie montagnarde. Leurs principaux sommets (le Donon, le Climont…), moins élevés que les ballons situés plus au sud, n’en sont pas moins, par leur charge symbolique et historique, remarquablement reconnus et consacrés par la littérature et l’image. Mais les cimes ne sont pas seules à inciter à la représentation des paysages, les vallées étant également bien représentées. Celle de la Bruche notamment, ouverture dans le massif, tient une place particulière en raison du poids mémoriel du camp d’extermination nazi du Struthof.

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Nombre de cartes postales par communes sur le site de vente en ligne de cartes postales anciennes Delcampe
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Extrait de la carte centré sur l’unité de paysages des Vosges Moyennes

Dans l’ensemble du massif, les Vosges Moyennes sont également « moyennes » pour le nombre de cartes postales anciennes les représentant. Mieux servies que le nord alsacien du massif, notamment grâce aux sites du Donon, elles restent néanmoins bien moins illustrées que les grands sommets des ballons des Vosges. Le piémont, à l’interface des Vosges Moyennes et de la plaine, est l’objet de toute l’attention des photographes.

« De larges pentes se déroulaient vers les vallées, peu de forêts : rien que des lignes puissantes et, plus loin, la vaste plaine embrumée ; de l’air, un souffle puissant, nulle trace humaine sinon, çà et là, accotée à une pente, une cabane de berger délaissée, occupée seulement l’été. Il se sentit devenir tranquille, presque rêveur peut-être : tout se fondit en une seule ligne comme une vague se gonflant et se creusant entre ciel et terre, il avait l’impression d‘être étendu au bord d’une mer infinie qui ondoyait doucement. Parfois, il s’asseyait ; puis il se remettait en route, mais lentement, comme dans un rêve. Il ne cherchait pas de chemin.

Georg Büchner, Lenz, 1835
L’auteur décrit son personnage, Lenz, faisant une promenade dans les montagnes du ban de la Roche (Vosges).
Cité par Viktoria von der Brüggen et Christine Peltre dans leur article « Regarder le paysage : géographies d’une exposition, p.13, catalogue de l’exposition L’Alsace pittoresque : l’invention d’un paysage (1770-1870).

Panoramas des Vosges moyennes

Vues à partir de la plaine

Les trois aquarelles panoramiques ci-dessous font partie d’une série de 13 vues présentant le profil des Vosges de Sessenheim à Wissenbourg. Emblématiques des modes de représentation des paysages des Vosges et plus généralement de l’Alsace, elles offrent un regard à distance des paysages des Vosges Moyennes. Les principaux sommets, le Climont, le Donon, y sont représentés et identifiés à la fois comme repères et motifs identitaires.

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B. Hartmann, Panorama des Vosges de Kinzheim à Dambach, vers 1900
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
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B. Hartmann, Panorama des Vosges de Dambach à Barr, vers 1900
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
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B. Hartmann, Panorama des Vosges d’Andlau au Schneeberg, vers 1900
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Du sud vers le nord, les trois panoramas donnent une vue du massif au début du XXe siècle. Dans la tradition de l’imagerie montagnarde, les principaux sommets sont identifiés et nommés. Les Vosges sont regardées ici de loin, à partir de la plaine dont les composantes (bourgs groupés au pied des versants, arbres alignés ou isolés, prairies et cultures soignées) composent sur la toile de fond du massif, un tableau d’une grande harmonie.

Panoramas intérieurs

Les sommets des Vosges Moyennes offrent des vues très étendues sur l’Alsace et la plaine mais aussi sur le massif lui-même. Au XIXe siècle, des illustrateurs saisissent cette opportunité pour créer des images à la fois esthétiques et documentaires sur les paysages du massif et de l’Alsace.

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Julius Naeher, Panorama à partir du Donon, vers 1888 (extrait)
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Extrait d’un panorama à 360° de la fin du XIXe siècle, cette image offre une vue très précise de l’intérieur de la chaîne vosgienne. Outre le relief, le dessin exprime la part importante prise par les champs cultivés, ouvertures disputées à la forêt. Le caractère montagnard de ce paysage vu du Donon est tempéré par la représentation des parcelles de cultures et des pâturages, des routes dont certaines sont plantées, et de la vallée habitée et cultivée.

Paysages des sommets

Le Donon, le Climont, le Mont Sainte-Odile [1], sont les sommets repères et identitaires des Vosges Moyennes. Autant aujourd’hui qu’hier, ils font partie des principales attractions de ce secteur des Vosges. Ainsi, dès le XVIIIe siècle et parfois même bien avant, les « écrivains-voyageurs » ne manquent de décrire les étapes de leur ascension, de nous faire part de leurs perceptions et de leurs sentiments devant le sublime des sites ou le pittoresque des habitants. Le patrimoine historique ou religieux présents à leurs sommets, leur part de mythe ou d’histoire, contribuent, comme l’entreprise de balisage menée par le Club vosgien [2] à leur popularité. Motifs de paysage et belvédères sur le paysage alentour, ces trois sommets des Vosges Moyennes constituent à eux seuls la grande part des représentations de l’unité de paysage.

Massif du Donon

Le grand Donon (1009 m), « plus haut sommet des basses Vosges [3] » est une destination ancienne et contemporaine très fréquentée des Vosges Moyennes. C’est aussi un site celtique puis gallo-romain recelant d’importants vestiges archéologiques. Son sommet est flanqué depuis la fin du XIXe siècle d’un temple « romain », figure immanquable, surtout aujourd’hui, des représentations des paysages du massif.

« Le Donon est une montagne des Vosges, élevée de 1100 m au-dessus du niveau de la mer. Pour jouir de tout le prestige du tableau qu’embrasse la vue sur la cime du Donon, il faut y arriver à cette heure où la terre semble sortir du sommeil et déploie ses charmes sous les premiers rayons du crépuscule. Cette nuit-là, une teinte vaporeuse et blanchâtre, étendue aux voûtes de l’air, voilait le scintillement des étoiles, et la lune, pâle et tremblante, projetant sa douteuse lumière et de l’ombre dans les bois, aux froissements des arbres, aux soupirs des forêts, nous avancions en silence. On arrive, après quelques temps de marche, à une clairière où le terrain devient à peu près uni, et, en élevant ses regards, on aperçoit la tête sombre et majestueuse du Donon ; puis en les rabaissant, les noires cimes des Vosges, qui moutonnent à l’entour, semblables à des vagues agitées qui seraient tout à coup rendues immobiles au pied d’un rocher solitaire ».

Edouard de Bazelaire, Promenades dans les Vosges, souvenirs et paysages, 1834
Cité in : Voyages dans les Vosges : voyages anciens et modernes dans les Vosges : promenades, descriptions, souvenirs, lettres, etc, 1500-1870, présentés par Louis Jouve, Veuve Durant et Fils, 1881

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Emile Gerlach ( ill.), Le Donon, automne, 1924
Bibliothèque nationale de Strasbourg
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J. N. Karth (ill.), Col du Donon, vue générale, XIXe siècle
Bibliothèque nationale de Strasbourg

Deux images pittoresques et lointaines du Donon et de ses alentours. La technique de l’aquarelle permet de rendre compte des contrastes de couleur des paysages vosgiens (feuillages d’automne, verts tendres des prairies dans l’image de gauche, brumes bleutées au fond de la vallée, blancheur de la roche à droite, etc.).

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Ch. Bernhuft (ill.), Le grand et le petit Donon, 1894
In : Strasbourg, Metz et les Vosges : 150 vues phototypiques par Ch. Bernhärft
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
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Donon, vue générale, 1900
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

A gauche, la photographie met le paysage en scène dans une succession de plans horizontaux. La ligne de crête où se distingue la silhouette du Donon à gauche est soulignée par les collines boisées du second plan. Au premier plan et au centre du dégagement de la prairie, le personnage allongé dans la perspective de l’objectif de l’appareil photographique, œil du photographe lui-même, savoure, dans une profonde détente, le tableau offert à sa contemplation.
A droite, une vue plus rapprochée, inscrit le sommet du Donon dans son environnement trivial où l’agriculture participe au même titre que le relief de la composition du paysage.

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Julius Naeher, Panorama à partir du Donon, vers 1888 (Extrait)
Bibliothèque nationale de Strasbourg
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Le Donon, montagne sacrée
Tourisme-alsace.com

De sa construction sous Napoléon III à nos jours, le motif du temple du Donon fait partie des « incontournables » des paysages des Vosges moyennes. Il en anime la « vue merveilleuse. » [4]

Paysages romantiques : ruines et nature

La cascade

Comme les cimes, la cascade est un attribut du paysage de montagne. Celle du Nideck, associée de plus aux ruines du château du même nom, est très présente et depuis longtemps dans les représentations des paysages des Vosges moyennes.

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Bernhoeft, Cascades de la Serva près de Natzviller, 1894 (à gauche) ; François-Jules Collignon, Cascade du Nideck, 1837 (à droite)
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
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Cascade du Nideck
A gauche, Georges Osterwald, 1873, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
A droite, Alsace-tourisme.com

Le parti pris de la représentation contemporaine de la cascade est aujourd’hui moins « romantique » que « naturelle ».

Hormis les vestiges archéologiques du Donon et du mur païen qui participent à une représentation romantique, les paysages des Vosges moyennes sont parsemés, comme dans les Vosges du Nord, de ruines de châteaux médiévaux. Situés à l’intérieur du massif ou en limite de piémont, Ottrott, le Nideck, Wangenbourg, Le Hohwald… ces motifs sont très souvent étroitement associés aux éléments naturels.

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François-Jules Collignon, Châteaux de Lutzelbourg et de Rathzamhausen, 1837
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
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H. Hoffmann, (ill.), Ruines du château du Haut Andlau, vers 1911
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Depuis le XIXe siècle, les ruines sont des éléments indissociables des représentations des paysages des Vosges Moyennes.

Les vallées : ouvertures sur les paysages des Vosges Moyennes

La vallée de la Bruche est un sujet de paysage dès le XIXe siècle. Aujourd’hui elle est une entrée des pages des guides touristiques consacrées aux Vosges Moyennes. Elle y est reconnue comme paysage mais surtout comme un lieu d’histoire notamment industrielle et de mémoire de la Shoa.

L’exemple de la Bruche : un paysage intense et en soi

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Henri-Charles Mueller (ill.), La vallée de la Bruche, vers 1820
A gauche, Entrée de la vallée de la Bruche
A droite, Vallée de la Bruche près d’Urmatt
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

A gauche l’ouverture que crée la vallée dans le massif vosgien est solennellement mise en scène. Le paysage est avant tout représenté dans sa beauté naturelle (le méandre majestueux du cours d’eau, les grands versants boisés ou à nu, l’horizon des crêtes…).
A droite, la scène est localisée dans une portion plus habitée. Le bourg (Urmatt), cadré par le massif dont les sommets se succèdent dans une grande profondeur de champ, est entouré de ses vergers alignés annonçant les cultures de la plaine.

Les villages de la vallée de la Bruche

La vallée de la Bruche et ses villages bénéficient d’un regard attentif des peintres et des illustrateurs du XIXe siècle. Ainsi, la plupart des bourgs sont représentés blottis aux fond de la vallée dont les versants boisés et les horizons montagneux créent un cadre pittoresque et harmonieux.

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Bourgs et villages de la vallée de la Bruche
De gauche à droite : Saales, Bourg-Bruche, Fouday
Jean-Nicolas Karth, A Saales, jeudi 22 mai 1834 ; Dorette Muller(ill.), Bourg-Bruche, ferme ; XXe siècle, Theodore Muller (ill.), Ban de la Roche, Fouday, Vue générale
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
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Bourgs et villages de la vallée de la Bruche
De gauche à droite : Fouday, Rothau
Theodore Muller (ill.), Ban de la Roche, Fouday, 1837 ; Georges Osterwald (ill.), Une fabrique au pied des Vosges – Rothau, XIXe siècle ; Jean-Nicolas Karth (ill.), Rothau, vue générale, 1850
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
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Bourgs et villages de la vallée de la Bruche
De gauche à droite : La Broque, Schirmeck, Lutzelhouse
Theodore Muller (ill.), Ban de la Roche, La Broque, 1837 ; Jean-Nicolas Karth (ill.), Vue de la vallée de Schirmeck : entrée du Ban de la Roche ; Ve Bader (ill.), Filature et tissage Scheidecker de Régel et Cie Lutzelhausen, XIXe siècle
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

La présence depuis le XVIIIe siècle d’une industrie surtout textile renforce l’intérêt des illustrateurs pour le secteur. Les artistes ont tendance à idéaliser ces paysages en n’en montrant que les attraits et la douceur. Cette vision sera clairement nuancée par la photographie et notamment la carte postale à la fin du XIXe siècle.

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Bourgs et villages de la vallée de la Bruche, photographies et cartes postales anciennes
De gauche à droite : Colroy (sd), Grandfontaine (sd), Fouday, (1900), La Broque, (1906)
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
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Bourgs et villages de la vallées de la Bruche, photographies et cartes postales anciennes
De gauche à droite : Mulhbach (sd), Natzwiller (1900), Rothau (1900), Schirmeck (1910)
Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

La photographie en noir et blanc du début du XXe siècle porte une regard davantage documentaire que pittoresque sur les paysages de la vallée : un bâti relativement austère, des versants à nu, cultivés ou pâturés, des cheminées d’usine indiquant la place encore importante de l’industrie, le tout enserré entre de montagnes aux allures de collines dont les caractères sont plus banals que sublimes.

Regards contemporains

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Une des photographies présentées sur la page d’accueil du site Internet de l’office de tourisme de la vallée de la Bruche représentant le Climont
Office de tourisme de la vallée de la Bruche

Les images contemporaines, comme les représentations anciennes, privilégient incontestablement les représentations « naturelles » ou pittoresques des paysages de la vallée. La promotion des stations de ski (Le champ du Feu, le Hohwald) situées à proximité encourage un type de représentation stéréotypé mettant davantage en valeur l’enneigement et l’ensoleillement que la composition du paysage.

La présence dans la vallée d’un camp de concentration et d’extermination nazi pendant la Seconde Guerre mondiale apporte cependant une dimension et une profondeur particulières aux paysages autour du camp de Struthof.
Le site Internet du musée de Struthof présente une série de photographies [5] où la paysage devient un instrument de la mémoire.

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Michael Kenna, Morning trees, Natzweiler, Camp de concentration du Struthof, 1988
Ministère de la culture (Médiathèque de l’architecture et du patrimoine).

Les images sensibles du camp créées par le photographe-paysagiste anglais Michael Kenna [6], interrogent la signification de notre regard sur le paysage.

[1] Dans la littérature touristique, le mont Sainte-Odile est très souvent décrit comme faisant partie des Vosges Moyennes. Dans l’atlas des paysages, ses paysages sont intégrés à ceux de l’unité du Piémont viticole.

[2] Le Club vosgien a été fondé en 1872 alors que l’Alsace était rattachée à l’Allemagne.

[3] Cette citation est extraite du guide : Alsace (guide évasion), Hachette, 2011 dans son chapitre consacré aux Vosges moyennes.

[4] « Depuis cette éminence de grès, la vue est merveilleuse » Guide Evasion Alsace Hachette, 2011, p. 140

[5] Site Internet du site du Struthof

[6] Pour un aperçu de l’œuvre de Michael Kenna, voir en ligne une exposition de ses photographies sur le site de la bibliothèque nationale de France