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Représentations et images du Ried Nord
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Aujourd’hui, les paysages du Ried Nord existent surtout par les sites naturels remarquables (celui du delta de la Sauer par exemple), et par des images du cours du Rhin que des ballades notamment fluviales permettent de découvrir. Mais, assez pauvre en patrimoine architectural remarquable et en sites « pittoresques », le Ried Nord, rarement distingué en tant qu’ensemble géographique, paysager ou culturel, est pauvre aussi en images. Dans les représentations ou cartes postales anciennes, ce sont le Rhin et les cours d’eau qui attirent les regards, bien davantage que les campagnes et forêts qui pourtant occupent l’essentiel de l’espace.
Peu ou pratiquement pas de villes, peu ou pas de « sites reconnus », de patrimoine architectural ou de curiosités touristiques… Les paysages du Ried Nord sont pratiquement absents des cartes postales anciennes.
Le Rhin, les cours d’eau, pour l’essentiel des représentations
« Élevée d’une quinzaine de mètres au-dessus du fleuve et couronnée par l’ancien mur d’enceinte, avec tours et créneaux, cette berge du vieux Rhin s’appelle le Précipice, tandis que le quartier aux abords des bas-fonds est nommé Fischerberg, la « montagne des pêcheurs ». De belles houblonnières s’étendent sur les terrains tourbeux, plus ou moins bien desséchés maintenant, autour desquels la terrasse du Précipice se développe en hémicycle. Cette terrasse de Lauterbourg s’avance en manière de promontoire entre le Rhin et la Lauter, à l’extrême limite de l’Alsace et du Palatinat. Au bas des talus de la terrasse, qui ont tous les caractères d’anciennes berges rongées par les eaux, le terrain est uni. Les parties hautes sont ondulées et mamelonnées, découpées plus ou moins profondément par des ravins derrière les villages de Mothern et de Munchhausen. Le Selzbach et les ruisseaux voisins, souvent à sec pendant l’été, ont creusé des vallées dans cette formation d’alluvions anciennes. Tandis que Lauterbourg se tient assis au haut de la terrasse, Munchhausen et Mothern se trouvent à la base, entourés de vergers. Des vignes recouvrent de leurs pampres verdoyants les terrains élevés au-dessus de Mothern. »
Charles Grad, L’Alsace, le pays et ses habitants,Hachette, 1906 [1]
Le Rhin
Le Rhin, fleuve frontière, fleuve de légendes célébré par le mouvement romantique est, dans l’unité du Ried Nord, quasiment le seul motif qui a inspiré les artistes. Mais, cette charge référentielle reste dans cette partie aval du fleuve en Alsace assez discrète. Le Rhin est ainsi le plus souvent représenté avec simplicité, dans un registre relevant davantage du documentaire que de l’imaginaire.
En revanche, l’imaginaire lié au Rhin est davantage convoqué par le tourisme contemporain. C’est le cas par exemple à Mothern où une exposition permanente « Il était une fois le Rhin », visible toute l’année à l’office de tourisme, convoque – entre autres - contes, légendes pour évoquer le fleuve et ses paysages.
Le Rhin se déploie sagement à l’intérieur de son lit. Domestiqué, il est associé dans l’image de gauche à un pont gracieux et à des maisons qui tranquillement le bordent, sans danger. A droite, si l’image mettait en scène non des soldats en campagne pendant les guerres révolutionnaires, mais de bons bourgeois, le Rhin apparaîtrait ici aussi comme le joli cadre pittoresque d’une promenade dominicale.
« Vous savez, je vous l’ai dit souvent, j’aime les fleuves. (…) Et, je vous l’ai dit aussi, entre tous les fleuves, j’aime le Rhin. La première fois que j’ai vu le Rhin, c’était il y a un an, à Kehl, en passant le pont de bateaux. La nuit tombait, la voiture allait au pas. Je me souviens que j’éprouvai alors un certain respect en traversant le vieux fleuve. J’’avais envie de le voir depuis longtemps. Ce n’est pas sans émotion que j’entre en communication, j’ai presque dit en communion, avec ces grandes choses de la nature qui sont aussi de grandes choses dans l’histoire.
(…)
Ce soir-là, quand je vis le Rhin pour la première fois, cette idée ne se dérangea pas. Je contemplai longtemps ce fier et noble fleuve, violent, mais sans fureur ; sauvage, mais majestueux. Il était enflé et magnifique au moment où je le traversais. Il essuyait aux bateaux du pont sa crinière fauve, sa barbe limoneuse, comme dit Boileau. Ses deux rives se perdaient dans le crépuscule. Son bruit était un rugissement puissant et paisible. Je lui trouvai quelque chose de la grande mer ».Victor Hugo, Le Rhin, 1842
Cette gravure est davantage inspirée par le romanesque. La ville bordée par le Rhin est dominée par une montagne aux versants abrupts dont la crête se perd dans de sombres nuages. L’effet de profondeur et d’insondabilité du fleuve est donné par la facture très encrée de la gravure. Les radeaux qui flottent sur son cours semblent minuscules au regard de la force des éléments.
« Sous un rideau d’arbres, par la plaine opulente où errent de vieux Rhins endormis, le chemin atteint Offendorf, enfermé dans une boucle capricieuse dessinée par une de ces fausses rivières. Sous les cailloux amenés par le Rhin, filtre l’eau du large courant ; elle vient jaillir en une source énorme, dont le flot abondant va plus loin se mêler à des coulées rhénanes. Au bord du fleuve, la forêt est épaisse, couvrant de grandes îles ; région solitaire, fréquentée seulement par les chasseurs et les pêcheurs. Sur ce point, la correction du Rhin n’a tenu aucun compte des limites d’états. Des lambeaux de sol badois sont parfois sur la rive gauche ; par contre, l’Alsace s’étend souvent sur la rive droite. La frontière que l’on croirait être le fleuve est une ligne géométrique idéale, fixée par des points de repère, des bornes se rattachant souvent par des visées à des clochers d’église situés dans l’intérieur des terres ».
Charles Grad, L’Alsace, le pays et ses habitants, Hachette, 1906
Dans les représentations contemporaines, la présence du Rhin reste assez discrète. Les photographies le présentent dans son cours, tranquille, le plus souvent associé à ses berges boisées.
Ces deux cartes postales de la fin du XXe siècle mettent en valeur, sous des angles différents, le caractère non urbanisé des rives du fleuve.
« Le Rhin à Lauterbourg, au coin nord-est du territoire français. Au-delà, les deux rives sont allemandes. Il n’y a plus de barrage en aval, le dernier est celui d’Iffezheim se trouve une quinzaine de kilomètres en amont. Ce qui signifie que les crues du Rhin ne sont plus maîtrisables. Le fleuve est ici bien moins aménagé, en témoignent des berges meubles ».
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Une rare vue « urbaine » du Rhin, ici à Lauterbourg. La proximité de la ville ne se devine que par par la berge aménagée plantée de platanes.
Les autres cours d’eau, la Lauter, l’Ill, la Moder…
L’eau, avec le Rhin et les autres rivières, est le principal motif d’intérêt des paysages du Ried Nord. L’Ill, la Moder, la Sauer créent des paysages et des ambiances que certains artistes ont représentés.
Le paysage de l’Ill bordée par la forêt est baigné dans cette gravure dans une atmosphère douce et protégée qui renvoie le spectateur à la rêverie inépuisable inspirée de la présence de l’eau.
De rares images de paysages agricoles
Si l’on exclue les représentations des bourgs et de leurs alentours par la photographie aérienne très utilisée par la carte postale à partir de la seconde moitié du XXe siècle, les paysages agricoles, malgré leur forte représentation en surface dans l’unité du Ried Nord, ne semblent avoir retenu ni l’attention des artistes, peintres ou photographes. Les fonds contemporains de photographies amateurs visibles sur les sites Internet n’y sont pas plus sensibles.
« Le Ried et les prairies qui couvrent la large vallée de la Zorn limitent ces riches étendues maraîchères. La petite rivière descendue de Saverne dans ces vastes espaces, frôle le long village de Weyersheim, où l’on cultive beaucoup de tabac. Plus loin, on retrouve le sol jardiné autour de Kurtzenhausen ; le maraîchage et les houblonnières couvrent tout l’espace que ne tapissent pas les prairies du Ried. On entre ici dans la région la plus riche de l’Alsace par la culture du houblon, riche surtout quand les cours commerciaux sont élevés. Partout les hautes perches revêtues de pampres ; elles dissimulent Gries, centre houblonnier qui fut grand producteur de garance ; les annuaires indiquent encore une sécherie pour cette plante tinctoriale, mais j’ignore si elle a survécu.
Du houblon, toujours du houblon ; maintenant, jusqu’aux abords de Bischwiller nous traversons sans cesse ces plantations remarquablement tenues. Bischwiller même n’est pas seulement une ville industrielle, c’est encore, après Haguenau, le plus grand centre de commerce pour le houblon ; 90 hectares de son territoire sont consacrés à cette culture ; on voit 1 100 000 perches se dresser autour d’elle, enveloppées du feuillage sombre que décorent en ce moment les beaux cônes d’un jaune pâle. »Charles Grad,L’Alsace, le pays et ses habitants, Hachette, 1906
Une exception dans les représentations du Ried Nord : un paysage de culture maraîchère (la même photo est ici reprise dans deux cartes postales différentes). Il est associé dans la carte postale multivues colorisée de gauche d’images traditionnelles du village-rue alsacien.
La nature en guise de paysage dans les représentations contemporaines
Les réserves naturelles et autres espaces protégés semblent être aujourd’hui les principaux sujets des représentations des paysages du Ried Nord. La réserve naturelle du delta de la Sauer, importante halte migratoire pour les oiseaux d’Europe du Nord, en est un bon exemple. Seul « site » d’intérêt du Ried Nord indiqué sur la carte touristique éditée par le Comité régional du tourisme d’Alsace, son attractivité et son accessibilité (un sentier pédestre est aménagé le long de la rivière) permettent de faire émerger une représentation, certes partielle, mais nouvelle, des paysages de l’unité.
D’autres photographies présentes sur des sites Internet, notamment naturalistes, montrent que l’intérêt pour des espaces protégés et leurs qualités écologiques est l’occasion de créer de nouvelles représentations des paysages du Ried Nord.
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Ces trois photos mettent en valeur de manière quasi-exclusive les composantes naturelles qui ici dominent dans le paysage. La photo de droite fait aussi référence à l’activité ancienne de la pêche. Elle la met en scène, dans un registre similaire à celui du cours d’eau ou des bancs de sable, comme une autre composante « naturelle » du paysage de la réserve.
Route de l’art contemporain en Alsace : deux interventions d’artistes dans les paysages du Ried Nord
Les berges du Rhin à Gambsheim et un rond-point Drusenheim ont été investi par des artistes contemporains interrogeant chacun dans des registres très différents notre rapport aux paysage et sa représentation.
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« amer : n. m. (1683. mer (c), scandin. merki V. Marque). Mar.
Objet fixe et visible servant de point de repère sur une côte. (in Petit Robert)
« Le long du Rhin, une installation à parcourir lentement, pour méditer. Le promeneur longe une rangée de quinze bornes dont chacune porte la photographie d’un paysage. Quinze paysages situés aux antipodes du fleuve, aux marches de la forteresse communautaire européenne ; habités par la sérénité des confins ou l’inquiétude des lignes de partage, ce sont des sanctuaires « dédiés » à l’appel du large ou à la peur de l’autre. Quinze paysages fragiles, fixés dans la fragilité de l’émail blanc, matière lumineuse, incorruptible, élue des nécropoles pour retenir les visages d’au-delà.
Quinze paysages invités à dialoguer au long du fleuve en une song line offerte au promeneur, fixés dans la fragilité de l’émail blanc, matière lumineuse, incorruptible.
Sombre méditation photographique sur les marches d’une Europe frôlée par l’ombre de la guerre : la plupart des images ont été réalisées entre 1991 et 1994 pendant la guerre en ex-Yougoslavie. Les photographies (60 / 90 cm) de la Ligne des amers entrent en résonance avec le lieu de l’installation et évoquent la tension entre deux démesures qui hantent ces terres périphériques : celle du vertige des confins et celle de la barbarie des frontières politiques. Images de peu de lumière, prises au bord du gouffre, en contact étroit avec les éléments : l’eau, le ciel, la terre et le vent y semblent parfois saisis à l’instant de leur difficile partage et dans une atmosphère dont la densité et la matière paraissent rendre perceptibles les atomes constitutifs, selon Lucrèce, « de la nature des choses ». Les hommes sont absents de ces terres d’ombre. Pourtant, des architectures ou des dispositifs oubliés -miradors, éoliennes, cornes de brume, chaînes, phares- symboles d’une grandeur passée ou d’une déroute en cours, évoquent leur inquiétude ou leur mystère. »Alain Willaume. In : La route de l’art contemporain en Alsace (plaquette), Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines
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« L’œuvre de Pommereulle ne cherche pas à éviter le conflit visuel, au contraire, elle l’amplifie. Là / Doh est en effet une œuvre aux dimensions monumentales : haute de cinq mètres trente et large de neuf mètres, on ne peut l’éviter du regard ; tout au plus peut-on la contourner en voiture, puisqu’elle est installée sur le rond-point à l’entrée de Drusenheim. Là / Doh est une sculpture faite de trois éléments de même structure et de tailles légèrement différentes, placés dans l’axe des trois voies de la circulation automobile. Ils émergent majestueusement du sol, sans complaisance. La matière de cette œuvre accole en chacune de ces formes l’acier, le verre et le grès des Vosges, symboliques pour Daniel Pommereulle de la force, de la Terre et de la transparence du ciel, dans une confrontation d’où se dégage une impression de froideur, voire de brutalité. Là / Doh, par sa massivité et sa structure volontairement menaçante qui évoquent des dispositifs militaires de défense, agit comme un rappel symbolique des statues monumentales placées précisément à l’entrée d’une ville ou d’un temple antiques, destinées autant à impressionner le passant qu’à annihiler tout danger potentiel par leur fonction prophylactique. La nuit, la lumière rasante sert à renforcer l’effet dramatique de l’œuvre. Pas de compromis, l’artiste a cherché à frapper le regard du spectateur. Ce triptyque architectural correspond bien au travail de Pommereulle sur les « objets de prémonition ». Une tension latente devient palpable, prémonitoire ou commémorative d’une catastrophe possible ou advenue, d’un événement imprévisible qui se produirait au cœur de l’œuvre ou à ses abords. Là / Doh présente « ce qui peut arriver ».
In : La route de l’art contemporain en Alsace (plaquette), Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines
[1] Cet ouvrage est disponible sur le site Gallica.fr